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que sa visite n’est pas attendue et qui n’est pas bien sûr qu’elle soit agréable. Cependant, comme la porte de la boutique était fermée, et comme rien n’indiquait que je dusse être reconnu des gens qui s’y trouvaient, si je me bornais purement et simplement à passer et repasser devant la porte, je ne tardai pas à surmonter mon irrésolution et je me trouvai chez le marchand de curiosités.

Le vieillard se tenait dans l’arrière-boutique, en compagnie d’une autre personne. Tous deux semblaient avoir échangé des paroles vives ; leur voix, qui était montée à un diapason très-élevé, cessa de retentir aussitôt qu’ils m’aperçurent. Le vieillard s’empressa de venir à moi, et, d’un accent plein d’émotion, me dit qu’il était charmé de me voir. Il ajouta :

« Vous tombez ici dans un moment de crise. »

Et, montrant l’homme que j’avais trouvé avec lui :

« Ce drôle m’assassinera un de ces jours. S’il l’eût osé, il l’aurait fait déjà depuis longtemps.

— Bah ! dit l’autre ; c’est vous plutôt qui, si vous le pouviez, livreriez ma tête par un faux serment ; nous savons bien cela. »

Avant de parler ainsi, le jeune homme s’était tourné vers moi et m’avait regardé fixement en fronçant les sourcils.

« Ma foi, dit le vieillard, je ne m’en défends pas. Si les serments, les prières ou les paroles pouvaient me débarrasser de vous, je le ferais, et votre mort serait pour moi un grand soulagement.

— Je le sais, c’est ce que je vous disais moi-même tout à l’heure, n’est-il pas vrai ? Mais, ni serments, ni prières, ni paroles ne suffisent pour me tuer. En conséquence, je vis et je veux vivre.

— Et sa mère n’est plus !… s’écria le vieillard, joignant ses mains avec désespoir et levant ses yeux au ciel ; voilà donc la justice de Dieu ! »

Le jeune homme était debout, frappant du pied contre une chaise et le regardant avec un ricanement de dédain. Il pouvait avoir environ vingt et un ans ; il était bien fait et avait certainement la taille élégante, mais l’expression de sa physionomie n’était pas de nature à lui gagner les cœurs : car elle offrait un caractère de libertinage et d’insolence vraiment repoussant, en harmonie d’ailleurs avec ses manières et son costume.

« Justice ou non, dit-il, je suis ici et j’y resterai jusqu’à ce