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ser qu’il avait pu mal placer sa confiance, et que le nain n’était pas précisément la personne à qui il convint de communiquer un secret si délicat et si important. Plongé par ces idées pénibles dans une situation que les mauvaises langues appelleraient l’état stupide ou l’hébétement de l’ivresse, il lança son chapeau à terre et se mit à gémir, criant très-haut qu’il était un malheureux orphelin, et que s’il n’eût pas été un malheureux orphelin, les choses n’eussent point tourné ainsi.

« Privé de mes parents dès mon bas âge, disait Richard se lamentant sur sa disgrâce, rebuté dans le monde durant mes plus tendres années, et livré à la merci d’un nain trompeur, qui pourrait s’étonner de ma faiblesse ? … Vous avez devant les yeux un malheureux orphelin. Oui, continua M. Swiveller, élevant sa voix sur un ton criard, et promenant autour de lui un regard somnolent, vous voyez ici un malheureux orphelin ! …

— Alors, dit quelqu’un derrière lui, permettez-moi de vous servir de père. »

M. Swiveller oscilla à droite et à gauche, et s’efforçant de conserver son équilibre et de voir à travers une sorte de vapeur ténébreuse qui semblait l’envelopper, il aperçut enfin deux yeux dont l’éclat perçait l’obscurité du nuage, et bientôt il reconnut que ces yeux étaient voisins d’un nez et d’une bouche. Portant son regard vers l’endroit où, eu égard à une face humaine, on est habitué à trouver des jambes, il remarqua qu’un corps était attaché à cette face ; et enfin un examen plus approfondi lui fit découvrir que l’individu était M. Quilp, qui sans doute ne l’avait pas quitté depuis leur sortie du cabaret, quoiqu’il eût une idée vague de l’avoir laissé derrière lui, à une distance d’un ou deux milles.

« Monsieur, dit solennellement Dick, vous avez trompé un orphelin.

— Moi ! … répliqua Quilp. Je suis un second père pour vous.

— Vous mon père ! … Je n’ai besoin de personne, monsieur, je désire être seul, je ne demande qu’une chose, c’est qu’on me laisse seul, à l’instant même.

— Quel drôle de garçon vous êtes ! s’écria Quilp.

— Allez, monsieur, dit Richard, s’appuyant contre un poteau et agitant sa main. Allez, enjôleur, allez ; quelque jour, peut-être, monsieur, serez-vous tiré de vos rêves de plaisirs pour connaître aussi les peines des orphelins abandonnés. Voulez-vous vous en aller, monsieur ? »