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— Ni moi non plus, dit ce dernier. Ce n’est rien qui vaille, je suppose.

— Ils ne sont pas méchants, dit Short. Je vais vous dire : ce qu’il y a de certain, c’est que le vieux a perdu l’esprit…

— Si vous n’avez rien de plus neuf à nous apprendre, grommela Codlin, regardant l’horloge, vous ferez mieux de nous laisser nous occuper du souper au lieu de nous déranger.

— M’écouterez-vous ? … Il est clair pour moi qu’ils n’ont pas toujours mené ce genre de vie. Vous ne me ferez pas croire que cette charmante jeune fille ait été habituée à rôder ainsi qu’elle l’a fait ces deux ou trois derniers jours. Je m’y connais !

— Eh bien ! qui est-ce qui vous dit le contraire ? grommela M. Codlin, promenant tour à tour son regard de l’horloge à la chaudière ; ne pourriez-vous pas songer à quelque chose qui convienne mieux au moment présent, qu’à des propos inutiles que vous venez nous débiter pour vous donner le plaisir de les contredire ensuite ?

— Je voudrais bien qu’on vous servît votre souper, répliqua Short ; car, jusqu’à ce que vous l’ayez expédié, je n’aurai pas la paix avec vous. Avez-vous remarqué comme le vieux est pressé de continuer sa route, comme il répète toujours : « Plus loin ! … Plus loin encore ! » Avez-vous remarqué ça ?

— Eh bien ! après ?

— Après ? Le voilà ! Il a sûrement faussé compagnie à ses amis. Écoutez-moi bien : il a faussé compagnie à ses amis et profité de la tendresse de cette douce et jeune créature pour l’engager à être son guide et sa compagne de voyage… Où vont-ils ? C’est ce qu’il ne sait pas plus que l’homme ne connaît le chemin de la lune. Mais je ne le souffrirai pas.

— Vous ne le souffrirez pas, vous ! … s’écria Codlin, jetant un nouveau regard sur l’horloge et se tirant les cheveux avec une sorte de rage, causée, je pense, à la fois par les observations de son compagnon et par la marche du temps, trop lente, au gré de son appétit. A-t-on jamais vu ? ajouta-t-il.

— Non, répéta Short avec énergie et lentement, je ne le souffrirai pas. Je ne souffrirai pas que cette jeune et charmante enfant tombe en de mauvaises mains, qu’elle se trouve au milieu de gens pour lesquels elle n’est pas plus faite qu’ils ne sont faits eux-mêmes pour vivre parmi les anges et pour en faire leurs camarades. En conséquence lorsqu’ils paraîtront vouloir nous