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lieu de chagrins, et nous serons heureux et libres comme l’oiseau ! »

Le vieillard alors appuya ses mains sur la tête de l’enfant, et en quelques mots saccadés, il dit qu’à partir de ce jour ils erreraient tous deux, çà et là, et ne se quitteraient jamais, jusqu’à ce que la mort, en prenant l’un ou l’autre, eût rompu leur alliance.

Le cœur de l’enfant battait fortement d’espoir et de confiance. Elle ne songeait ni à la faim ni à la soif, ni au froid ni à aucune autre souffrance. Dans ce qui lui arrivait, elle ne voyait qu’un moyen de revenir aux plaisirs simples dont ils avaient joui autrefois, d’échapper aux méchantes gens qui l’avaient entourée dans les derniers temps d’épreuve ; enfin, que le retour du vieillard à la santé, à la paix, à une vie paisible et heureuse. Le soleil, les flots, les prés et les belles journées d’été brillaient à ses yeux, et il n’y avait pas une ombre dans ce tableau éclatant.

Tandis que le vieillard goûtait dans son lit un bon sommeil de quelques heures, Nelly s’occupait activement des préparatifs de leur fuite. Elle n’avait à emporter pour elle et pour son grand-père qu’un petit nombre d’objets d’habillement délabrés, comme l’était leur fortune ; et de plus, elle mit de côté un bâton sur lequel le vieillard devait appuyer ses faibles pas. Mais sa tâche n’était pas finie ; il lui restait à visiter les pauvres chambres pour la dernière fois.

Qu’il y avait loin de cette séparation à ce qu’elle avait pu prévoir, à tout ce qu’elle avait pu jamais se figurer ! Aurait-elle pensé qu’elle dirait une sorte d’adieu triomphant à cette maison, quand le souvenir de tant d’heures qu’elle y avait passées s’élevait dans son cœur ému et lui représentait son désir comme une espèce d’impiété, quelque solitaires et tristes qu’eussent été pour elle la plupart de ces heures !

Elle s’assit près de la fenêtre où elle était venue si souvent à la fin du jour, par des soirées bien autrement sombres que celle-ci. Là, toutes les pensées d’espérance et d’amour, qui, en ce lieu même, l’avaient occupée, se représentèrent avec force à son esprit, et effacèrent en un moment ses idées pénibles et lugubres.

Sa petite chambre, où si souvent elle s’était agenouillée et avait prié la nuit, prié pour obtenir le jour dont maintenant