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le plus petit espace possible, et à inventer d’ingénieux moyens mécaniques pour faire tenir des couvercles sur des boîtes qui n’avaient ni charnières ni serrure.

Le lendemain matin se leva fort déplaisant pour un voyage, sombre, humide et crotté. Les chevaux des diligences qui passaient fumaient si fort que les passagers de l’extérieur étaient invisibles. Les crieurs de journaux paraissaient noyés et sentaient le moisi ; la pluie dégouttait des chapeaux des marchandes d’oranges ; et, lorsqu’elles fourraient leur tête par la portière des voitures, elles en arrosaient l’intérieur d’une manière très-rafraîchissante. Les juifs fermaient de désespoir leurs canifs à cinquante lames ; les vendeurs d’agendas de poche en faisaient véritablement des agendas de poche ; les chaînes de montre et les fourchettes à faire des rôties se livraient à perte ; les porte-crayons et les éponges étaient pour rien sur le marché.

Laissant Sam Weller disputer les bagages à sept ou huit porteurs qui s’en étaient violemment emparés aussitôt que la voiture de place s’était arrêtée, et voyant qu’il y avait encore vingt minutes à attendre avant le départ de la diligence, M. Pickwick et ses amis allèrent chercher un abri dans la salle des voyageurs, dernière ressource de l’humaine misère.

La salle des voyageurs, au Cheval-Blanc, est comme on le pense bien, peu confortable ; autrement ce ne serait pas une salle de voyageurs. C’est le parloir qui se trouve à main droite, et dans lequel une ambitieuse cheminée de cuisine semble s’être impatronisée, avec l’accompagnement d’un poker rebelle, d’une pelle et de pincettes réfractaires. Le pourtour de la salle est divisé en stalles pour la séquestration des voyageurs, et la salle elle-même est garnie d’une pendule, d’un miroir et d’un garçon vivant ; ce dernier article étant habituellement renfermé dans une espèce de chenil où se lavent les verres, à l’un des coins de la chambre.

Le jour en question, une des stalles était occupée par un homme d’environ quarante-cinq ans, dont le crâne chauve et luisant sur le devant de la tête, était garni sur les côtés et par derrière d’épais cheveux noirs qui se mêlaient avec ses larges favoris. Son habit brun était boutonné jusqu’au menton ; il avait une vaste casquette de veau marin et une redingote avec un manteau étaient étendus sur le siége, à côté de lui. Lorsque M. Pickwick entra, il leva les yeux de dessus son déjeûner avec un air fier et péremptoire tout à fait plein de dignité ;