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reprit sa physionomie méprisante, et commença à lire et à boire, avec une dignité silencieuse.

Or, un démon de discorde, volant en ce moment au-dessus de la tête du Sarrazin, et jetant les yeux en bas, par pure curiosité, aperçut Slurk, confortablement établi au coin du feu de la cuisine et, dans une autre chambre, Pott, légèrement exalté par le vin. Aussitôt le malicieux démon, s’abattant dans ladite chambre avec une inconcevable rapidité, et s’introduisant du même temps dans la tête de Bob Sawyer, lui souffla le discours suivant.

« Dites donc, nous avons laissé éteindre le feu ; cette pluie a joliment refroidi l’air.

— C’est vrai, répondit M. Pickwick en frissonnant.

— Ça ne serait pas une mauvaise idée de fumer un cigare au feu de la cuisine, hein ! qu’en dites-vous ? reprit Bob, toujours excité par le démon susdit.

— Je crois que cela serait tout à fait confortable, répliqua M. Pickwick ; qu’en pensez-vous, monsieur Pott ? »

M. Pott donna facilement son assentiment à la mesure proposée, et les quatre voyageurs se rendirent immédiatement à la cuisine, chacun d’eux tenant son verre à la main, et Sam Weller marchant à la tête de la procession, afin de montrer le chemin.

L’étranger lisait encore. Il leva les yeux et tressaillit. M. Pott recula d’un pas.

« Qu’est-ce qu’il y a ? chuchota M. Pickwick.

— Ce reptile ! répliqua Pott.

— Quel reptile ? s’écria M. Pickwick en regardant autour de lui, de peur de marcher sur une limace gigantesque ou sur une araignée hydropique.

— Ce reptile ! murmura Pott en prenant M. Pickwick par le bras, et lui montrant l’étranger ; ce reptile, Slurk, de l’Indépendant.

— Nous ferions peut-être mieux de nous retirer ? demanda M. Pickwick.

— Jamais, monsieur, jamais ! » répliqua Pott ; et prenant position à l’autre coin de la cheminée, il choisit un journal dans son paquet et commença à lire en face de son ennemi.

M. Pott naturellement lisait l’Indépendant, et M. Slurk lisait la Gazette, et chaque gentleman exprimait son mépris pour les compositions de l’autre par des ricanements amers et par des reniflements sarcastiques. Ensuite ils passèrent à des mani-