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La jeune dame, en passant, laissa tomber son gant dans la main de mon oncle, et, approchant les lèvres de son visage, si près qu’il sentit sur son nez une tiède haleine, lui murmura tout bas ces deux mots : « Secourez-moi monsieur. » Mon oncle s’élança à bas de la voiture avec tant de violence qu’il la fit bondir sur ses ressorts.

« Ah ! vous vous ravisez ? » a dit le conducteur, quand il vit mon oncle sur ses jambes.

Mon oncle le regarda pendant quelques secondes, incertain s’il devait lui arracher son espingole, la tirer au visage du matamore, casser la tête du reste de la compagnie avec la crosse, saisir la jeune dame et disparaître au milieu de la fumée. En y réfléchissant, toutefois, il abandonna ce plan, comme d’une exécution un peu mélodramatique, et il se contenta de suivre les deux hommes mystérieux dans une vieille maison devant laquelle la voiture s’était arrêtée. Conduisant entre eux la jeune dame, ils tournèrent dans le corridor, et mon oncle s’y enfonça à leur suite.

De tous les endroits ruinés et désolés que mon oncle avait rencontrés dans sa vie, celui-ci était le plus désolé et le plus ruiné. On voyait que ç’avait été autrefois un vaste hôtel, mais le toit était ouvert dans plusieurs endroits, et les escaliers étaient raboteux et défoncés. Dans la chambre où les voyageurs entrèrent, il y avait une vaste cheminée, toute noire de fumée, quoiqu’elle ne fût égayée par aucun feu. La cendre blanchâtre du bois brûlé était encore répandue sur l’âtre, mais le foyer était froid, et tout paraissait sombre et triste.

« Voilà du joli, dit mon oncle en regardant autour de lui ; une malle qui fait six milles et demi à l’heure, et qui s’arrête indéfiniment dans un trou comme celui-ci ! C’est un peu fort ! mais ça sera connu ; j’en écrirai aux journaux. »

Mon oncle dit cela d’une voix assez élevée et d’une manière ouverte et sans réserve, pour tâcher d’engager la conversation avec les deux étrangers ; mais ils se contentèrent de chuchoter entre eux, en lui lançant des regards farouches. La dame était à l’autre bout de la chambre, et elle s’aventura, une fois, à agiter sa main, comme pour demander l’assistance de mon oncle.

À la fin les deux étrangers s’avancèrent un peu, et la conversation commença.

« Mon brave homme, dit le gentilhomme en habit bleu, vous ne savez pas, je suppose, que ceci est une chambre particulière.

— Non, mon brave homme ; je n’en sais rien, rétorqua mon