Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/184

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vu le marché, Bill, qu’il dit (le marché de Fleet-Street était encore là à cette époque) ; je n’ai pourtant pas vu le marché depuis dix-sept ans. — Je sais ça, dit le geôlier en fumant sa pipe. — J’aimerais bien à le voir une minute, Bill, qu’il dit. — Je n’en doute pas, dit le geôlier en fumant sa pipe fort et ferme, pour ne pas avoir l’air d’entendre ce que parler voulait dire. — Bill, dit le petit homme brun brusquement, c’est une fantaisie que j’ai mis dans ma tête. Laissez-moi voir la rue encore une fois avant que je meure, et, si je ne suis pas frappé d’apoplexie, je serai revenu dans cinq minutes, à l’horloge. — Et qu’est-ce que je deviendrais, moi, si vous êtes frappé d’apoplexie, dit le geôlier. — Eh bien ! dit la petite créature, ceux-là qui me trouveront me ramèneront à la maison, car j’ai ma carte dans ma poche : 20, escalier du café, dit-il. — Et c’était vrai, car, quand il avait envie de faire connaissance avec quelque nouveau voisin, il avait l’habitude de tirer de sa poche un petit morceau de carte chiffonnée avec ces mots-là dessus, et pas autre chose ; en considération de quoi on l’appelait toujours Numéro Vingt. Le geôlier le regarda fisquement, puis à la fin, il dit d’un air solennel : Numéro Vingt, qu’il dit, je me fie à vous. Vous ne voudriez pas mettre un vieil ami dans l’embarras ? — Non, mon garçon ; j’espère que j’ai quelque chose de meilleur là-dessous », dit le petit homme en cognant de toutes ses forces sur son gilet, et en laissant dégringoler une larme de chaque œil, ce qui était fort extraordinaire, car jamais auparavant une goutte d’eau n’avait touché son visage. Il secoua la main du geôlier et le voilà parti.

— Et il n’est jamais revenu, dit M. Pickwick.

— Enfoncé pour cette fois-ci, monsieur ! car il revint deux minutes avant le temps, tout bouillant de rage, et disant qu’il avait manqué d’être écrasé par une voiture de place, qu’il n’y était plus habitué, et qu’il voulait être pendu, s’il n’en écrivait pas au lord maire. À la fin, on finit par le pacifier, et pendant cinq ans après ça, il ne mit pas seulement le nez à la grille.

— À l’expiration de ce temps, il mourut, je suppose, dit M. Pickwick.

— Non, monsieur ; il lui vint la fantaisie de goûter la bière, dans une nouvelle taverne, tout à côté de la prison, et il y avait un si joli parloir, qu’il se mit dans la tête d’y aller tous les soirs, et il n’y manqua pas, monsieur, pendant longtemps,