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Clifton, et suivit la route qui lui fut indiquée ; mais, de même que les pavés de Bristol ne sont pas les plus larges ni les plus propres de tous les pavés, de même ses rues ne sont pas absolument les plus droites ni les moins entrelacées. M. Winkle se trouva bientôt complètement embrouillé dans leur labyrinthe, et chercha autour de lui une boutique décente, où il pût demander de nouvelles instructions.

Ses yeux tombèrent sur un rez-de-chaussée nouvellement peint qui avait été converti en quelque chose qui tenait le milieu entre une boutique et un appartement. Une lampe rouge qui s’avançait au-dessus de la porte l’aurait suffisamment annoncé comme la demeure d’un suppôt d’Esculape quand même le mot : chirurgie[1] n’aurait pas été inscrit, en lettres d’or, au-dessus de la fenêtre, qui avait autrefois été celle du parloir du devant. Pensant que c’était là un endroit convenable pour demander son chemin, M. Winkle entra dans la petite boutique garnie de tiroirs et de flacons, aux inscriptions dorés. N’y apercevant aucun être vivant, il frappa sur le comptoir avec une demi couronne, afin d’attirer l’attention des personnes qui pourraient être dans l’arrière-parloir, espèce de sanctum sanctorum de l’établissement, car le mot : chirurgie était répété sur la porte, en lettres blanches, cette fois, pour éviter la monotonie.

Au premier coup, un bruit très-sensible jusqu’alors, et semblable à celui d’un assaut exécuté avec des pelles et des pincettes, cessa soudainement. Au second coup un jeune gentleman, à l’air studieux, portant sur son nez de larges bésicles vertes et dans ses mains un énorme livre, entra d’un pas grave dans la boutique, et, passant derrière le comptoir, demanda à M. Winkle ce qu’il désirait.

« Je suis fâché de vous déranger, monsieur, répondit celui-ci. Voulez-vous avoir la bonté de m’indiquer…

— Ha ! ha ! ha ! se mit à beugler le studieux gentleman, en jetant en l’air son énorme livre et en le rattrapant avec grande dextérité, au moment où il menaçait de réduire en atomes toutes les fioles qui garnissaient le comptoir. En voilà une bonne ! »

Si l’inconnu entendit par là une bonne secousse, il n’avait pas tort, car M. Winkle avait été si étonné de la conduite

  1. En Angleterre, surtout dans les petites villes, les gens qui vendent des médicaments donnent en même temps des consultations, et prennent le titre de chirurgiens.