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sieur ? demanda à Sam l’heureux gentleman en tirant un cure-dents de la poche de son gilet.

— Pas exactement, répondit Sam ; il n’y a pas de demoiselle à la maison, autrement j’aurais fait la cour à l’une d’elles, nécessairement. Mais, voyez-vous, je ne voudrais pas me compromettre avec une femme au-dessous d’une marquise ; je pourrais prendra une richarde, si elle devenait folle de moi, mais pas autrement, non ma foi !

— Certainement, non, monsieur Weller. Il ne faut pas se laisser déprécier. Nous, qui sommes des hommes du monde, nous savons que, tôt ou tard, un bel uniforme écorne toujours le cœur d’une dame. Au fait, c’est la seule chose, entre nous, qui fait qu’on peut entrer au service.

— Justement, dit Sam ; c’est ça, rien que ça. »

Après ce dialogue confidentiel, des verres furent distribués à la ronde ; et, avant que la taverne fût fermée, chaque gentleman demanda ce qu’il aimait le mieux. Le gentleman en bleu et l’homme en orange, qui étaient les beaux fils de la société, ordonnèrent du grog froid ; mais le breuvage favori des autres paraissait être le genièvre et l’eau sucrée. Sam appela le fruitier : Satané coquin ! et ordonna un bol de punch, deux circonstances qui semblèrent l’élever beaucoup dans l’opinion des domestiques choisis.

« Gentlemen, dit l’homme bleu avec le ton du plus consommé dandy, allons ! à la santé des dames !

— Écoutez ! écoutez ! s’écria Sam, aux jeunes maîtresses. »

À ce mot, de toutes parts on entendit crier : à l’ordre ! Et M. John Smauker, étant le gentleman qui avait introduit Sam dans la société, l’informa que ce mot n’était pas parlementaire.

« Quel mot, monsieur ? demanda Sam.

— Maîtresse, monsieur, répondit M. Smauker avec un froncement de sourcils effrayant. Ici nous ne reconnaissons pas de distinctions semblables.

— Oh ! très-bien alors ; j’amenderai mon observation, et je les appellerai les chères criatures, si Flambant veut bien le permettre. »

Quelques doutes parurent s’élever dans l’esprit du gentleman en culotte verte, sur la question de savoir si le président pouvait être légalement interpellé par le nom de Flambant ; toutefois, comme les assistants semblaient moins soigneux de ses droits que des leurs, l’observation n’eut point de suite.