Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment autour de lui ; mais, se trouvant décidément en minorité, il prit un air de supériorité compatissante, et n’ajouta plus rien.

« De quoi parle-t-on ? demanda la vieille dame à l’une de ses petites-filles d’un son de voix très-élevé ; car, suivant l’usage des sourds, elle ne semblait pas imaginer que d’autres pussent entendre ce qu’elle-même disait.

— On parle de la terre, grand’maman.

— Qu’est-ce qu’on dit de la terre ? Est-ce qu’il est arrivé quelque chose ?

— Non, non. M. Miller disait que notre terre est meilleure que le pré de Mullins.

— Qu’est-ce qu’il en sait ? demanda la vieille dame avec indignation. Miller est un fat impertinent, et vous pouvez le lui dire de ma part. » Ayant proféré cette sentence, la vieille dame se redressa, et regarda le délinquant d’un air sévère, sans se douter un seul instant qu’elle avait parlé de manière à être entendue de tout le monde.

— Allons ! allons ! fit M. Wardle en s’empressant avec une anxiété naturelle de changer la conversation ; que dites-vous d’un whist, monsieur Pickwick ?

— Je l’aimerais par-dessus toute chose ; mais, je vous prie, ne le faites pas à cause de moi.

— Oh ! je vous assure que ma mère aime beaucoup à faire son whist. N’est-ce pas vrai, ma mère ? »

La vieille dame, qui était beaucoup moins sourde sur ce sujet que sur tout autre, répondit affirmativement.

« Joe ! Joe ! cria le vieux gentleman, Joe ! damné garçon… Ah ! le voilà ! Dressez les tables de jeu. »

Le léthargique jeune homme vint à bout de dresser, sans autre stimulant, deux tables de jeu : l’une pour faire le whist, l’autre pour jouer à la papesse Jeanne. Les joueurs de whist étaient : M. Pickwick et la vieille lady, M. Miller et le gros gentleman. L’autre jeu comprenait le reste de la société.

Le whist fut conduit avec tout le sérieux, avec toute la gravité qu’exige cet acte solennel, auquel, suivant nous, on a mal à propos et avec irrévérence donné le nom de jeu. Mais, à la table ronde, on faisait éclater une gaieté si bruyante, qu’elle nuisait notablement aux réflexions de M. Miller. Ce malheureux personnage n’étant pas aussi absorbé par son jeu qu’il aurait dû l’être, tombait dans des fautes, dans des crimes impardonnables, qui excitaient au plus haut degré la rage du gros