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sant ces mots notre excellent ami attira doucement Isabelle, et déposant un baiser sur son front, la fit asseoir sur le petit tabouret aux pieds de sa grand’mère. Alors, soit que l’expression de ce jeune visage, levé vers la vieille dame, lui rappelât des souvenirs d’autrefois, soit qu’elle fût touchée par la bienveillante bonhomie de M. Pickwick, quelle qu’en fût la cause enfin, elle s’amollit complétement ; elle jeta ses bras au cou de Bella, et toute cette petite mauvaise humeur s’évapora en larmes silencieuses.

Ce fut une heureuse soirée. Le whist où M. Pickwick et la vieille lady jouaient ensemble, était grave et solennel, mais la joie de la table ronde était bruyante et tumultueuse. Longtemps après que les dames se furent retirées, le vin chaud bien assaisonné d’eau-de-vie et d’épices, circula à la ronde et recircula fréquemment. Le sommeil qu’il produisit fut profond, et les rêves qu’il amena furent agréables. C’est un fait remarquable que ceux de M. Snodgrass se rapportaient constamment à Emily Wardle, et que la principale figure des visions de M. Winkle était une jeune demoiselle, avec des yeux noirs, un sourire malin, et des brodequins remarquablement petits.

M. Pickwick fut réveillé de bonne heure, le lendemain, par un murmure de voix, par un bruit confus de pas, qui auraient suffi pour tirer le gros joufflu lui-même de son pesant sommeil. Il se leva sur son séant et écouta. Les domestiques et les hôtes féminins couraient constamment de tous côtés, et il y avait tant et de si instantes demandes d’eau chaude, tant de supplications répétées pour des aiguilles et du fil, tant de : « Oh ! venez m’agrafer ma robe, vous serez bien gentille ! » que M. Pickwick, dans son innocence, commença à s’imaginer qu’il était arrivé quelque chose d’épouvantable. Cependant ses idées s’éclaircissant de plus en plus, il se rappela que c’était le jour des noces. L’occasion étant importante, il s’habilla avec un soin particulier, et descendit dans la chambre où l’on devait déjeuner.

Toutes les servantes de la maison, vêtues d’un uniforme de mousseline, couraient çà et là dans un état d’agitation et d’inquiétude impossible à décrire. La vieille lady était parée d’une robe de brocart, qui depuis vingt années n’avait pas vu la lumière, excepté lorsque quelque rayon vagabond s’était glissé à travers les fentes de la boîte où elle était enfermée. M. Trundle resplendissait de satisfaction, mais on voyait pourtant que ses nerfs n’étaient pas bien solides. Quant au cordial amphitryon,