Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/392

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec les pincettes ; et qui plus est, ma chère, je tâcherais de ne pas mourir de chagrin s’il ne remettait plus les pieds ici.

— Ouh ! le réprouvé ! s’écrie Mme Weller.

— Merci, mon amour, dit son époux.

— Allons ! allons ! père, observa Sam ; pas de ces petites tendresses devant des étrangers. Voilà le révérend gentleman qui revient. »

À cette annonce, Mme Weller essuya précipitamment les larmes qu’elle s’était efforcée de verser, et M. Weller tira, d’un air chagrin, son fauteuil dans le coin de la cheminée.

M. Stiggins ne se fit pas beaucoup prier pour prendre un autre verre de grog ; puis il en accepta un second, puis un troisième, puis il consentit à accepter sa part d’un léger souper, afin de recommencer sur nouveaux frais. Il était assis du même côté que M. Weller aîné ; et lorsque celui-ci supposait que sa femme ne pouvait pas le voir, il indiquait à son fils les émotions intimes dont son âme était agitée, en secouant son poing sur la tête du berger. Cette plaisanterie procurait à son respectueux enfant une satisfaction d’autant plus pure, que M. Stiggins continuait à siroter paisiblement son rhum, dans une heureuse ignorance de cette pantomime animée.

La conversation fut soutenue, en grande partie, par Mme Weller et le révérend M. Stiggins, et les principaux sujets qu’on entama furent les vertus du berger, les mérites de son troupeau, et les crimes affreux, les détestables péchés de tout le reste du monde. Seulement, M. Weller interrompait parfois ces dissertations par des remarques et des allusions indirectes à un certain vieux farceur généralement désigné sous le nom de Walker[1], et se permit çà et là divers commentaires non moins ironiques et voilés.

Enfin, M. Stiggins, qui, à en juger par divers symptômes indubitables, avait emmagasiné autant de grog qu’il en pouvait ingurgiter sans trop s’incommoder, prit son chapeau et son congé. Immédiatement après, Sam fut conduit par son père dans une chambre à coucher. Le respectable gentleman, en lui donnant une chaleureuse poignée de main, paraissait se disposer à lui adresser quelques observations ; mais il entendit

  1. M. Walker est un personnage mystérieux qui jouit en Angleterre d’une grande réputation de hableur. Son nom, employé comme interjection « Walker » est devenu un terme de mépris et d’incrédulité. (Note du traducteur.)