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Au lieu donc de recevoir, d’une manière convenable l’explication du philosophe, il procéda immédiatement à se monter sur un diapason dévorant de colère et de menaces, parlant avec rage de ce qui était dû à sa délicatesse, à sa sensibilité, et donnant de la force à ses déclamations en marchant furieusement à travers la chambre, et en arrachant ses cheveux ; amusement qu’il interrompait quelquefois pour agiter son poing sous le nez philanthropique de M. Pickwick.

Cependant, fort de sa rectitude et de son innocence, contrarié d’avoir malheureusement embarrassé la dame d’un certain âge, dans une affaire aussi désagréable, M. Pickwick, à son tour, était dans une disposition moins paisible qu’à son ordinaire. En conséquence, on parla plus vivement ; on se servit de plus gros mots, et à la fin, M. Magnus dit à M. Pickwick qu’il aurait bientôt de ses nouvelles. M. Pickwick, avec une politesse digne de louange, lui répondit que le plus tôt serait le mieux. À ces mots la dame d’un certain âge se précipita en pleurant hors de la chambre, et M. Tupman entraîna son savant ami, abandonnant le prétendu désappointé à ses sombres méditations.

Si la dame d’un certain âge avait vécu dans la société, ou si elle avait tant soit peu connu les coutumes et les manières de ceux qui font les lois et établissent les modes, elle aurait su que cette espèce de férocité est la chose du monde la plus innocente. Mais elle avait principalement habité la province, n’avait jamais lu les débats parlementaires, et était peu versée, par conséquent, dans le code d’honneur raffiné des nations civilisées. Aussitôt donc qu’elle eut gagné sa chambre à coucher et soigneusement verrouillé sa porte, elle commença à méditer sur les scènes dont elle venait d’être témoin. Des idées de massacre et de carnage se présentèrent à son imagination, et, dans cette fantasmagorie, le tableau le moins sanglant représentait M. Peter Magnus, enrichi d’une livre de plomb dans le côté gauche, et rapporté à l’hôtel sur un brancard. Plus la dame d’un certain âge méditait, plus elle était épouvantée, et à la fin elle se détermina à aller trouver le principal magistrat de la ville, et à le requérir de faire empoigner sans délai M. Pickwick et M. Tupman.

La dame d’un certain âge fut poussée à prendre ce parti par un grand nombre de considérations ; mais la principale était la preuve incontestable qu’elle donnerait ainsi à M. Peter Magnus du dévouement qu’elle lui avait voué, de l’anxiété qu’elle res-