Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/330

Cette page a été validée par deux contributeurs.

donc pas d’autre ressource que de rester où il était, jusqu’à la pointe du jour. Ainsi, après avoir fait encore quelques pas dans le corridor, en trébuchant, à sa grande alarme, sur plusieurs paires de bottes, il s’accroupit dans un angle du mur, pour attendre le matin aussi philosophiquement qu’il le pourrait.

Cependant il n’était point destiné à subir cette nouvelle épreuve de patience, car il n’y avait pas longtemps qu’il était retiré dans son coin, lorsqu’à son horreur inexprimable un homme, portant une lumière, apparut au bout du corridor. Mais cette horreur fut soudainement convertie en transports de joie lorsqu’il reconnut son fidèle serviteur. C’était en effet M. Samuel Weller qui regagnait son domicile, après être resté jusqu’alors en grande conversation avec le garçon qui attendait la diligence.

« Sam ! dit M. Pickwick, en paraissant tout à coup devant lui ; où est ma chambre à coucher ? »

Sam considéra son maître avec la surprise la plus expressive, et celui-ci avait déjà répété trois fois la même question, lorsque son domestique tourna sur son talon et le conduisit à la chambre si longtemps cherchée.

« Sam, dit M. Pickwick en se mettant dans son lit ; j’ai fait cette nuit un des quiproquos les plus extraordinaires qu’il soit possible de faire.

— Ça ne m’étonne pas, monsieur, répliqua sèchement le valet.

— Mais je suis bien déterminé, Sam, quand je devrais rester six mois dans cette maison, à ne plus jamais me risquer tout seul hors de ma chambre.

— C’est la résolution la plus prudente que vous pourriez prendre, monsieur. Vous avez besoin de quelqu’un pour vous surveiller quand votre raison s’en va en visite.

— Qu’est-ce que vous entendez par là ? Sam, demanda M. Pickwick, qui, se levant sur son séant, étendit la main comme s’il allait faire un discours ; mais tout à coup il parut se raviser, se recoucha et dit à son domestique : Bonsoir.

— Bonsoir, monsieur, » répliqua Sam, et il sortit de la chambre. Arrivé dans le corridor, il s’arrêta, secoua la tête, fit quelques pas, s’arrêta encore, moucha sa chandelle, secoua la tête de nouveau, et finalement se dirigea lentement vers sa chambre, enseveli, en apparence, dans les plus profondes méditations.