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sur la terre. Quelle fraîcheur enivrante le ravive ? D’où vient cet agréable murmure ? De l’eau, c’est une source ; le clair ruisseau coule à ses pieds. Il en boit avec ardeur, et reposant sur la rive ses membres endoloris, il tombe dans un assoupissement délicieux. Un bruit de pas le réveille. Un vieux homme à la tête grise s’avance en chancelant pour apaiser sa soif dévorante. C’est encore lui ! Heyling saisit le vieillard d’un bras et l’éloigne de l’onde bienfaisante. Vainement celui-ci se débat avec d’affreuses convulsions ; vainement il demande avec des cris déchirants de l’eau, une seule goutte d’eau pour sauver sa vie ! Heyling le repousse d’un bras impitoyable ; il contemple d’un œil avide sa longue agonie, et quand sa tête grise tombe sans vie sur son sein, il laisse aller son cadavre et le repousse du pied.

Lorsque la fièvre le quitta, lorsque la connaissance lui revint, il s’éveilla pour se trouver libre et riche ; pour apprendre que son père, qui l’aurait laissé mourir dans une prison, qui avait laissé ceux qui devaient lui être plus chers que sa propre existence, périr de besoin et de cette tristesse du cœur qu’aucun médecin ne peut guérir ; que son père dénaturé avait été trouvé mort dans son lit. Il aurait bien eu le courage de faire de son fils un mendiant ; mais orgueilleux jusqu’au bout de sa santé et de sa force, il avait ajourné les mesures à prendre pour cela, jusqu’au moment où il était trop tard pour le faire : et maintenant il pouvait grincer des dents, dans l’autre monde, à la pensée de toutes les richesses que cette négligence avait fait passer sur la tête de son fils !

George Heyling revint à lui pour apprendre sa fortune nouvelle, pour se souvenir du serment terrible qu’il avait fait, pour se rappeler que son ennemi était le père de sa propre femme, l’homme qui l’avait plongé dans une prison, et qui, quand sa fille et son petit enfant s’étaient jetés à ses pieds, pour lui demander grâce, les avait chassés avec mépris. Oh ! combien le malheureux Heyling déplorait la faiblesse qui l’empêchait de se lever et de poursuivre activement sa vengeance !

Il se fit transporter loin des lieux qui avaient été témoins de sa misère et de la double perte qu’il avait faite ; il se retira sur le bord de la mer, dans une résidence paisible, non avec l’espoir de recouvrer le bonheur ou même la tranquillité, car l’un et l’autre s’étaient enfuis pour toujours, mais afin de retrouver son énergie abattue et de méditer sur le projet qu’il nourris-