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Une fois, après avoir exécuté ce tour de force, M. Tupman, en rouvrant les yeux, vit une grosse perdrix qui tombait blessée sur la terre. Il allait congratuler M. Wardle sur ses invariables succès, quand celui-ci s’avança vers lui et lui serrant chaudement la main :

« Tupman, vous avez choisi cette perdrix-là parmi les autres ?

— Non ! non !

— Si, je l’ai remarqué. Je vous ai vu la choisir. J’ai observé comment vous leviez votre fusil pour l’ajuster ; et je dirai ceci : que le meilleur tireur du monde n’aurait pas pu l’abattre plus admirablement. Vous êtes moins novice que je ne le croyais, Tupman : vous avez déjà chassé ? »

Vainement M. Tupman protesta, avec un sourire de modestie, que cela ne lui était jamais arrivé. Son sourire même fut regardé comme une preuve du contraire, et depuis cette époque sa réputation fut établie. Ce n’est pas la seule réputation qui ait été acquise aussi aisément, et l’on peut admirer les effets heureux du hasard ailleurs que dans la chasse aux perdrix.

Pendant ce temps, M. Winkle s’environnait de feu, de bruit et de fumée, sans produire aucun résultat positif digne d’être noté. Quelquefois il envoyait sa charge au milieu des airs ; quelquefois il lui faisait raser la surface du globe, de manière à rendre excessivement précaire l’existence des deux chiens. Sa manière de tirer, considérée comme une œuvre d’imagination et de fantaisie, était extrêmement curieuse et variée ; mais matériellement et quant au produit réel, c’était peut-être, au total, un non-succès. C’est un axiome établi que chaque boulet a son adresse ; si on peut l’appliquer également à des grains de petit plomb, ceux de M. Winkle étaient de malheureux bâtards, privés de leurs droits naturels, jetés au hasard dans le monde, et qui n’étaient adressés nulle part.

« Eh bien ! dit M. Wardle en s’approchant de la brouette et en essuyant la sueur de son visage joyeux et rougeaud ; une journée un peu chaude, hein ?

— C’est vrai, répondit M. Pickwick. Le soleil est effroyablement brûlant, même pour moi. Je ne sais pas comment vous devez le trouver.

— Ma foi ! pas mal chaud, mais c’est égal. Il est midi passé ; voyez-vous ce coteau vert, là ?

— Certainement.