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gisante Mme Pott ; ô ma chère maîtresse ! qu’est-ce que vous avez ?

— Votre maître !… votre brutal de maître… » balbutia la malade.

Pott faiblissait évidemment.

« C’est une honte ! dit la jeune fille d’un ton de reproche. Je suis sûre qu’il vous fera mourir, madame. Pauvre cher ange ! »

Pott faiblit encore plus : l’autre parti continua ses attaques.

« Oh ! ne m’abandonnez pas ! Ne m’abandonnez pas, Goodwin ! murmura Mme Pott, en s’attachant avec une force convulsive au poignet de la jeune demoiselle. Vous êtes la seule personne qui m’aimiez, Goodwin ! »

À cette apostrophe touchante, miss Goodwin monta, de son côté, une petite tragédie, et versa des larmes en abondance.

« Jamais ! madame, soupira-t-elle. Ah ! monsieur, vous devriez prendre garde… Vous devriez être prudent ! vous ne savez pas quel mal vous pouvez faire à ma maîtresse. Vous en seriez fâché un jour… Je le sais bien… je l’ai toujours dit ! »

Le malheureux Pott regarda sa moitié d’un air timide, mais il ne dit rien.

« Goodwin… dit Mme Pott, d’une voix douce.

— Madame ?

— Si vous saviez combien j’ai aimé cet homme-là !

— Ne vous tourmentez pas en vous rappelant ça, madame. »

Pott laissa voir qu’il était effrayé ; c’était le moment de frapper un coup décisif.

« Et maintenant ! sanglota Mme Pott, maintenant ! Après tant d’amour, être traitée comme cela ! Être méconnue ! être insultée ! en présence d’un tiers, d’un étranger ! Mais je ne me soumettrai pas à cela, Goodwin, continua Mme Pott en se soulevant, dans les bras de sa suivante. Mon frère le lieutenant me protégera… Je veux une séparation, Goodwin.

— Certainement, madame. Il le mériterait bien. »

Quelles que fussent les pensées qu’une menace de séparation pût exciter dans l’esprit de l’éditeur, il ne les exprima pas ; mais il se contenta de dire avec grande humilité : « Ma chère âme, voulez-vous m’entendre ? »

Une nouvelle décharge de sanglots fut la seule réponse, et Mme Pott, devenue encore plus nerveuse, demanda, d’une voix entrecoupée, pourquoi elle avait été mise au monde, pourquoi elle s’était mariée, et voulut être informée d’une foule d’autres secrets de ce genre.