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et en le tenant, pour le considérer, à l’extrémité de son bras.

« De par tous les diables ! que faites-vous là ? » s’écria le sellier d’une voix terrible.

Nathaniel Pipkin ne put faire de réponse, et le vieux Lobbs le secoua de toutes ses forces, pendant deux ou trois minutes, pour l’aider à mettre de l’ordre dans ses idées.

« Que faites-vous ici ? Vous êtes venu pour ma fille, apparemment ? »

Le vieux Lobbs ne disait cela qu’en manière de sarcasme, car il ne croyait pas que la présomption d’un mortel pût conduire Nathaniel Pipkin aussi loin. Quelle fut donc son indignation, lorsque le pauvre maître d’école répondit :

« C’est vrai, monsieur Lobbs, je suis venu pour votre fille, j’aime votre fille, monsieur Lobbs.

— Comment, misérable petit singe ! balbutia le vieux Lobbs, paralysé par cette étrange confession ; qu’est-ce que cela signifie ? Me dire cela à ma barbe ! Dieu me damne ! je vais vous étrangler. »

Il n’est nullement improbable que le vieux Lobbs, dans l’excès de sa rage, eût exécuté cette menace, s’il n’en avait pas été empêché par une apparition complétement inattendue : à savoir le cousin, qui, sortant de son cabinet, lui dit en s’approchant :

« Je ne puis laisser cette innocente personne qui a été invitée ici par une plaisanterie de jeune fille, prendre sur elle, d’une manière très-noble, la faute (si faute il y a) dont je suis seul coupable, et que je suis prêt à avouer. J’aime votre fille, monsieur, et je suis venu pour la voir. »

Pendant cette déclaration imprévue, le vieux Lobbs ouvrait de grands yeux, mais pas plus grands que Nathaniel. À la fin, lorsqu’il retrouva assez de souffle pour parler :

« Ah ! vous êtes venu pour voir ma fille !

— Oui, monsieur.

— Et ne vous avais-je pas défendu d’entrer ici ?

— Oui, monsieur, et sans cela je ne serais pas venu en cachette. »

Je suis fâché de rapporter cela du vieux Lobbs, mais je crois qu’il aurait assommé le cousin, si sa jolie fille, dont les yeux brillants étaient noyés de larmes, ne s’était point suspendue à son bras.

« Ne le retenez pas, Maria, dit le jeune homme. S’il a envie