Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/215

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme un officier de justice russe, et tenant dans sa main un terrible knout, symbole élégant du redoutable pouvoir que possédait la Gazette d’Eatanswill, et des flagellations effrayantes qu’elle infligeait aux coupables politiques.

« Bravo ! s’écrièrent M. Tupman et M. Snodgrass en voyant cette allégorie marchante.

— Bravo ! répéta la voix de M. Pickwick du fond du couloir.

— Hou ! hou ! Pott ! ohé ! Pott ! » beugla la populace.

Pendant ces salutations, l’éditeur montait dans le coupé, tout en souriant avec une sorte de dignité gracieuse, qui témoignait suffisamment qu’il sentait son pouvoir et savait comment l’exercer.

Après lui on vit sortir de la maison Mme  Pott, qui aurait parfaitement ressemblé à Apollon, si elle n’avait pas eu de robe. Elle était conduite par M. Winkle, et celui-ci, avec son petit habit rouge, se serait fait nécessairement reconnaître pour un chasseur, s’il n’avait point également ressemblé à un facteur de Londres. Enfin parut M. Pickwick, et il fut applaudi par les gamins, aussi bruyamment que les autres, probablement parce que sa culotte et ses guêtres passaient à leurs yeux pour quelque reste de l’antiquité.

Les deux voitures se dirigèrent ensemble vers la demeure de Mme  Chasselion : celle qui contenait M. Pickwick, portait aussi sur le siége Sam Weller, qui devait aider au service.

Tous les individus, hommes et femmes, garçons et filles, bambins et vieillards, qui étaient assemblés pour voir les visiteurs dans leurs costumes, se pâmèrent de délice quand ils aperçurent M. Pickwick donnant le bras d’un côté au brigand, de l’autre au troubadour : mais lorsque M. Tupman, pour faire son entrée dans le bon style, s’efforça de fixer sur sa tête son chapeau pointu, des cris tumultueux s’élevèrent, tels qu’on n’en avait jamais entendu auparavant.

Les immenses et somptueux préparatifs de la fête réalisaient complétement les prophétiques louanges de Pott, sur les merveilles fabuleuses des Mille et une Nuits, et contredisaient, du même coup, les insinuations perfides du venimeux Indépendant. Le jardin, qui avait plus d’une acre d’étendue, était rempli de monde. Jamais on n’avait vu un tel foyer de beauté, d’élégance et de littérature. La jeune lady, qui faisait la poésie dans la Gazette d’Eatanswill, s’était revêtue ou plutôt dévêtue d’un costume d’odalisque. Elle s’appuyait sur le bras du jeune gentleman, qui faisait la critique, et qui portait fort convena-