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— Je serai très-heureux, monsieur, de faire la connaissance d’une dame aussi distinguée.

— Vous la ferez, monsieur. Demain matin, nous donnons un grand déjeuner, une fête champêtre, à un nombre considérable de ceux qui se sont rendus célèbres par leurs ouvrages et par leurs talents. Accordez à Mme  Chasselion la satisfaction de vous voir à la Caverne.

— Avec grand plaisir.

Mme  Chasselion donne beaucoup de ces déjeuners, monsieur ; galas de la raison, effluves de l’âme[1], comme l’observa avec un sentiment plein d’originalité quelqu’un qui a adressé un sonnet à Mme  Chasselion, sur ces déjeuners.

— Était-il célèbre par ses ouvrages et par ses talents ? demanda M. Pickwick.

— Certainement, monsieur. Toutes les connaissances de Mme  Chasselion sont célèbres : c’est son ambition, monsieur, de n’avoir pas d’autres connaissances.

— C’est une très-noble ambition.

— Quand j’informerai Mme  Chasselion que cette remarque est tombée de vos lèvres, monsieur, elle en sera fière, en vérité. Vous avez avec vous, monsieur, un gentleman qui, je crois, a produit quelques petits poëmes d’une grande beauté ?

— Mon ami, M. Snodgrass, a beaucoup de goût pour la poésie.

— C’est comme Mme  Chasselion, monsieur. Elle adore la poésie, monsieur ; elle en est folle. Je puis dire que toute son âme et tout son esprit sont pétris de poésie. Elle-même a produit quelques pièces délicieuses, monsieur. Vous pouvez avoir rencontré son ode À une grenouille expirante.

— Je ne le crois pas.

— Vous m’étonnez. Elle a fait une immense sensation. Elle a paru originairement dans le Magasin des dames, et était signée d’un C et de neuf étoiles. Elle commençait ainsi :

Puis-je te voir sanglante et pantelante,
Sur ton ventre, sans soupirer ?
Puis-je sans pleurs te contempler mourante,
Sur un rocher,
Grenouille expirante ?


— Charmant ! s’écria M. Pickwick.

  1. Feast of reason, flow of soul est une citation de je ne sais quel poëte, devenue proverbiale pour se moquer des réunions où il n’y a rien à boire ni à manger.