Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/201

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas qu’on sût combien elle m’était attachée ; cela pourrait occasionner quelques désagréments dans sa famille. » En disant ces mots, le vieux débauché avait l’air si impertinent, que Tom a déclaré depuis qu’il aurait pu s’asseoir dessus sans le moindre remords.

« J’étais la coqueluche des femmes dans mon temps. J’ai tenu bien des jolies femmes sur mes genoux pendant des heures entières ! Eh ! Tom, qu’en dites-vous ? » Le vieux farceur allait poursuivre et raconter sans doute quelque exploit de sa jeunesse, lorsqu’il lui prit un si violent accès de craquements qu’il lui fut impossible de continuer.

« C’est bien fait, vieux libertin ! pensa Tom. Mais il ne dit rien.

— Ah ! reprit son étrange interlocuteur, cette maladie m’incommode beaucoup maintenant. Je deviens vieux, Tom, et j’ai perdu presque tous mes bâtons. On m’a fait dernièrement une vilaine opération : on m’a mis dans le dos une petite pièce. C’était une épreuve terrible, Tom.

— Je le crois, monsieur.

— Mais il ne s’agit point de cela, Tom ; je veux vous marier à la veuve.

— Moi ! monsieur ?

— Vous.

— Que Dieu bénisse vos cheveux blancs ! (le fauteuil conservait encore une partie de ses crins). Elle ne voudrait pas de moi ! Et Tom soupira involontairement, car il songeait au comptoir.

— Allons donc ! dit le vieux gentleman avec fermeté.

— Non, non. Il y a un autre vent qui souffle : un damné coquin, d’une taille superbe, avec des favoris noirs !

— Tom ! reprit le vieillard solennellement, il ne l’épousera jamais !

— Ah ! si vous aviez été dans le comptoir, vieux gentleman, vous conteriez un autre conte.

— Bah ! bah ! je sais toute cette histoire-là…

— Quelle histoire ?

— Les baisers dérobés derrière la porte, et cætera, » dit le vieillard avec un regard impudent qui fit bouillonner le sang de Tom ; car, je vous le demande, messieurs, y a-t-il rien de plus vexant que d’entendre parler de la sorte un homme de cet âge, qui devrait s’occuper de choses plus convenables.

« Je sais tout cela, Tom ; j’en ai vu faire autant à bien d’au-