Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La nuit était avancée, M. Tupman et M. Snodgrass dormaient depuis longtemps sous l’aile du Paon d’argent, lorsque nos deux amis se retirèrent dans leurs chambres. Le sommeil s’empara bientôt de leurs sens, mais, quoiqu’il eût rendu M. Winkle insensible à tous les objets terrestres, le visage et la tournure de l’agréable Mme Pott se présentèrent, pendant longtemps encore, à sa fantaisie excitée.

Le mouvement et le bruit de la matinée suivante étaient suffisants pour chasser de l’imagination la plus romantique toute autre idée que celle de l’élection. Le roulement des tambours, le son des cornes et des trompettes, les cris de la populace, le piétinement des chevaux, retentissaient dans les rues depuis le point du jour ; et de temps en temps une escarmouche entre les enfants perdus des deux partis égayait et diversifiait les préparatifs de la cérémonie.

Sam parut à la porte de la chambre à coucher de M. Pickwick, justement comme il terminait sa toilette. Hé ! bien, Sam, lui dit-il, tout le monde est en mouvement, aujourd’hui ?

« Oh ! personne ne caponne, monsieur. Nos particuliers sont rassemblés aux Armes de la ville, et ils ont tant crié déjà qu’ils en sont tout enrouillés.

— Ah ! ont-ils l’air dévoué à leur parti, Sam ?

— Je n’ai jamais vu de dévouement comme ça, monsieur.

— Énergique, n’est-ce pas ?

— Je crois bien. Je n’ai jamais vu boire ni bâfrer si énergiquement. Il pourrait bien en crever quelques-uns, voilà tout.

— Cela vient de la générosité malentendue des bourgeois de cette ville.

— C’est fort probable, répondit Sam d’un ton bref.

— Ha ! dit M. Pickwick, en regardant par la fenêtre, de beaux gaillards, bien vigoureux, bien frais.

— Très-frais, pour sûr. Les deux garçons du Paon d’argent et moi, nous avons pompé sur tous les électeurs qui y ont soupé hier.

— Pompé sur des électeurs indépendants !

— Oui, monsieur. Ils ont ronflé cette nuit oùs qu’ils étaient tombés ivres-morts hier soir. Ce matin, nous les avons insinués, l’un après l’autre, sous la pompe, et voilà ! Ils sont tous en bon état maintenant. Le comité nous a donné un shilling par tête pour ce service-là !…

— Est-il possible qu’on fasse des choses semblables ! s’écria M. Pickwick plein d’étonnement.