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blesses humaines, vous ignorez quel coup fatal on reçoit lorsqu’on est abandonné par une charmante, par une fascinante créature ; et lorsqu’on devient la victime d’un monstre qui cachait la ruse et le vice hideux sous le masque de l’amitié. Ah ! puissiez-vous ne l’apprendre jamais !

« Les lettres qui me seront adressées à la Bouteille de cuir, à Cobham-Kent, me seront transmises, supposé que j’existe encore. Je m’éloigne d’une partie du monde qui m’est devenue odieuse. Si je quitte le monde tout entier, plaignez-moi, pardonnez-moi. La vie, mon cher ami, m’est devenue insupportable ! La flamme qui brûle au dedans de nous est comme les crochets d’un porteur, sur lesquels repose l’énorme poids des soins et des soucis du monde ; quand cette flamme nous manque, le fardeau devient trop pesant pour que nous puissions le supporter et nous tombons accablés sur la terre. Vous pouvez dire à Rachel… Ah ! ce nom !… Quel souvenir !…

« Tracy Tupman. »

« Nous allons partir sur-le-champ, dit M. Pickwick en refermant cette lettre. Nous n’aurions pu, dans aucune circonstance, rester décemment ici après les événements qui s’y sont passés ; mais maintenant, c’est un devoir pour nous d’aller à la recherche de notre ami. » En prononçant ces nobles paroles, M. Pickwick prit le chemin de la maison.

Ses intentions furent promptement communiquées à ses hôtes. Leurs prières pour le retenir furent instantes, mais inutiles. « D’importantes affaires, leur dit-il, rendent mon départ indispensable. »

Le vieil ecclésiastique était présent.

« Vous êtes donc décidé à nous quitter ? » dit-il à M. Pickwick, en le prenant à part ; et sur sa réponse affirmative, il ajouta : « S’il en est ainsi, voilà un petit manuscrit que j’espérais avoir le plaisir de vous lire moi-même. Ayant perdu un de mes amis, qui était médecin de notre hôpital des fous, j’ai trouvé ce manuscrit parmi beaucoup d’autres papiers qu’il m’avait chargé de brûler ou de conserver, à mon choix. Il n’est point de la main de mon ami, et j’ai peine à croire qu’il ne soit pas apocryphe : lisez-le, mon cher monsieur, et jugez par vous-même s’il a été réellement écrit par un maniaque, ou, ce qui me paraît plus probable, si les rêveries d’un de ces infortunés ont été recueillies par une autre personne. »