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Alors seulement elle daigna se souvenir de l’avoir déjà vu et demander si madame sa mère se portait bien.

« Merci, bégaya M. Sparkler. À merveille… c’est-à-dire, assez mal.

— À Venise ? demanda Mlle  Fanny.

— À Rome, répliqua M. Sparkler. Je suis ici tout seul. Je venais faire une visite à M. Édouard Dorrit. Et même à M. Dorrit père, également… en un mot, à la famille. »

Se tournant d’un air gracieux vers ses gens, Mlle  Fanny demanda si son papa et son frère étaient à la maison. Sur leur réponse affirmative, M. Sparkler offrit humblement le bras à Mlle  Fanny, qui l’accepta et monta le grand escalier, ornée de son berger. Si ce jeune gentleman se figurait, comme c’est vraisemblable, qu’il avait affaire à une demoiselle pas rouée du tout, il se trompait de beaucoup.

Arrivé dans un salon de réception un peu moisi, dont les tristes tentures d’un vert de mer fané étaient si usées et si flétries qu’elles auraient pu, par analogie, réclamer une parenté très-rapprochée avec les épaves d’herbes marines qui flottaient sous les croisées ou se cramponnaient aux murs, pleurant sur le malheureux sort de leurs parents emprisonnés, Mlle  Fanny envoya des messagers à la recherche de son père et de son frère. En attendant l’arrivée de ces deux messieurs, l’ex-danseuse s’arrangea sur un canapé dans une attitude très-avantageuse, et acheva la conquête de M. Sparkler en hasardant quelques remarques sur le Dante, personnage que ce gentleman regardait comme un vieux bonhomme assez excentrique qui avait l’habitude de se coiffer d’une couronne de feuillage et de s’asseoir sur un escabeau, sans que personne pût deviner pourquoi, devant le portail de la cathédrale de Florence.

M. Dorrit reçut le visiteur avec une urbanité extrême, ou plutôt avec sa grâce la plus aristocratique. Il demanda spécialement des nouvelles de madame Merdle. Il demanda spécialement des nouvelles de monsieur Merdle. Le jeune Sparkler, qui paraissait arracher les paroles une à une du col de sa chemise, répondit que Mme  Merdle, blasée de sa maison de campagne, non moins blasée de son pied-à-terre de Brighton, ne pouvant pas non plus, voyez-vous, rester à Londres, lorsqu’il n’y avait plus une âme dans la ville, et ne se sentant pas d’humeur à aller en visite à la campagne chez un tas de gens, s’était décidée à pousser une pointe jusqu’à Rome, où une femme comme elle, d’une beauté proverbiale et pas bégueule du tout, ne pouvait pas manquer de produire un certain effet. Quant à M. Merdle, les gens de bourse et autres individus de ce genre avaient tellement besoin de lui que M. Sparkler ne croyait pas le système monétaire du pays assez fort pour se passer d’un pareil homme ; M. Sparkler ne dissimula pourtant pas que les occupations de M. Merdle paraissaient quelquefois mettre sur les dents ce banquier phénoménal, dont la santé avait grand besoin d’un petit temps de galop à la campagne ou à l’étranger. M. Spar-