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dehors ? N’importe, Rigaud-Lagnier-Blandois, mon ami, tu vas avoir ton argent. Tu vas t’enrichir. Tu as vécu en gentilhomme, tu mourras en gentilhomme. Tu triomphes, mon garçon ; mais il est dans ton caractère de triompher ! Pouf ! »

Dans la joie de son triomphe, la moustache du gentilhomme se releva et son nez s’abaissa, tandis qu’il contemplait avec une satisfaction toute particulière une grosse poutre qui se trouvait au-dessus de sa tête.




CHAPITRE XXXI.

C’est fermé.


Le soleil était couché et le crépuscule assombrissait les rues tandis que la ci-devant recluse les traversait à la hâte. Dans le voisinage immédiat de la vieille maison, sa présence attira peu l’attention, parce qu’elle ne rencontra que quelques rares passants ; mais lorsque, remontant vers le pont de Londres par une des ruelles tortueuses qui conduisent à la rivière, elle déboucha dans un carrefour fréquenté, son aspect y causa une vive surprise.

L’air résolu, mais effaré, aussi pâle et aussi maigre qu’un spectre, elle s’avançait d’un pas rapide, quoique faible et incertain, dans son antique costume tout noir, avec son étrange coiffure, sans faire plus d’attention qu’une somnambule aux nombreux passants. Plus séparée de la foule environnante que si elle eût été placée sur un piédestal, elle attirait à elle tous les regards. Les flâneurs s’arrêtaient pour la voir passer ; les gens affairés qui se croisaient avec elle ralentissaient le pas et se retournaient ; des amis marchant bras dessus, bras dessous, s’écartaient pour lui livrer passage, en se disant tout bas : « Regardez donc ce fantôme qui s’avance vers nous ; » elle entraînait à sa suite, comme dans un tourbillon, les badauds les plus oisifs et les plus curieux.

Éblouie par l’irruption turbulente de cette multitude de visages étonnés qui venaient troubler son long isolement, étourdie par le grand air, plus étourdie encore par la sensation nouvelle de la marche, par les changements inattendus de diverses localités dont elle conservait un vague souvenir, par le peu de ressemblance entre les tableaux adoucis que son imagination lui avait souvent représentés et la saisissante réalité de ce monde dont elle se trouvait séparée depuis si longtemps, elle poursuivait son chemin, plus attentive aux pensées qui se heurtaient dans son cerveau qu’à ce concours d’observateurs qui la regardaient comme un spectacle. Mais après avoir traversé le pont et marché droit devant