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— Moi aussi, chère petite Dorrit, j’ai quelque chose à vous dire. »

Elle leva la main avec un mouvement nerveux comme pour lui fermer la bouche, mais elle la laissa retomber en tremblant à la place qu’elle occupait auparavant.

« Je ne quitterai plus l’Angleterre. Mon frère veut encore voyager ; mais moi je reste. Il m’a toujours été attaché et maintenant il se montre si reconnaissant… beaucoup trop reconnaissant, car je n’ai fait que mon devoir en restant auprès de lui pendant sa maladie… qu’il dit que je suis libre de demeurer où je l’entends et de faire ce que je veux. Tout ce qu’il désire, dit-il, c’est de me voir heureuse. »

On voyait au ciel une étoile brillante. La petite Dorrit la regardait pendant qu’elle parlait, comme si elle eût vu briller là le vœu la plus cher de son cœur.

« Vous devinez sans doute que mon frère est revenu pour chercher le testament de mon cher père, et pour prendre possession de son héritage. Il dit que, s’il y a un testament, je ne peux pas manquer d’y être dotée richement ; et que, dans le cas où on n’en trouverait pas, il me rendra riche par lui-même. »

Arthur allait parler, mais elle leva encore une fois sa petite main tremblante et il se tut.

« Je n’ai pas besoin d’argent. Je n’y tiens pas. À quoi me servirait-il, à moins qu’il ne puisse vous être utile ? Je ne me croirai jamais riche tant que vous serez ici. Je me sentirai plus malheureuse que les plus pauvres d’entre les pauvres tant que vous aurez de pareils chagrins. Laissez-moi vous prêter tout ce que j’ai. Laissez-moi vous prouver que je n’ai pas oublié, que je ne peux jamais oublier combien vous avez été bon pour moi lorsque j’habitais cette prison. Cher monsieur Clennam, rendez-moi la plus heureuse des femmes en disant : Oui ! Rendez-moi aussi heureuse que je puis l’être en vous laissant ici ; et si vous ne voulez pas accepter ce soir, permettez-moi du moins d’emporter l’espoir que vous allez y songer sérieusement… non pas dans votre intérêt, mais dans le mien… Faites-le pour moi, pour moi seule… Vous me procurerez la plus grande joie que je puisse éprouver dans ce monde, celle de savoir que j’aurai pu vous rendre service et payer une obole de la grande dette d’affection et de reconnaissance que j’ai contractée envers vous. Je ne peux pas vous dire tout ce que je voudrais vous dire. Non, je ne peux pas vous visiter dans cet endroit que j’ai habité si longtemps, je ne peux pas songer que vous êtes dans cette prison ou j’ai vu tant de choses, et me montrer aussi calme, aussi consolante que je le devrais. Mes larmes couleront malgré moi. Il me sera impossible de les réprimer. Mais, je vous en prie, ne vous détournez pas de votre petite Dorrit dans votre affliction ! Je vous en prie et vous en supplie de tout mon cœur souffrant, mon ami… mon cher ami !… prenez tout ce que je possède et faites que ce soit un bonheur pour moi d’être riche… »