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peu un sens nouveau qui lui serrait le cœur, ce n’est pas que la jeune fille fût changée, elle était restée la même ; mais lui, on lui avait ouvert les yeux.

Elle ôta son vieux chapeau, l’accrocha à son ancienne place, et commença, sans bruit, avec l’aide de Maggy, à rendre la chambre aussi gaie et aussi propre que possible ; elle y répandit sur le parquet de l’eau de senteur. Puis on déballa le panier rempli de raisins et de fruits que l’on mit de côté avec les autres provisions. Ensuite la petite Dorrit dit un mot à l’oreille de Maggy, qui sortit un moment pour le faire remplir de nouveau ; et le panier ne tarda pas à reparaître plein de provisions nouvelles ; on en tira immédiatement certaines buissons et certaines gelées rafraîchissante, avec un poulet rôti et de l’eau rougie pour le second service. Ces divers préparatifs achevés, elle prit dans sa poche son vieux nécessaire pour faire un rideau à la croisée ; et, au milieu du calme qui régnait maintenant dans cette chambre et qui semblait de là rayonner sur toute la bruyante prison, Arthur, moins abattu, regarda travailler la petite Dorrit.

La vue de cette modeste petite tête penchée sur son ouvrage, de ces doigts toujours agiles qui reprenaient leur travail d’autrefois (bien que la jeune fille ne fut pas assez absorbée sur sa tâche pour ne pas lever fréquemment vers le malade des yeux compatissants qui se remplissaient de larmes avant de se baisser)… le bonheur d’être ainsi consolé et soigné, la pensée que tout le dévouement de cette noble nature se tournait vers lui dans son adversité pour répandre sur sa misère les richesses d’une bonté inépuisable, ne contribuaient pas à raffermir la voix ni la main tremblante de Clennam, ni à diminuer sa faiblesse, mais elle lui inspirait une force morale qui croissait avec son amour. Comme il l’aimait tendrement ! Il n’y a pas de mots pour le dire.

Tandis qu’ils restaient assis l’un auprès de l’autre, enveloppés de l’ombre du mur fatal, cette ombre tombait à présent sur lui comme une auréole. Sa petite amie ne voulait pas lui permettre de parler beaucoup, et, enfoncé dans son fauteuil, il se contentait de la regarder. De temps à autre, elle se levait pour lui donner à boire ou pour arranger le coussin qu’elle avait posé derrière sa tête ; puis elle reprenait doucement sa place auprès de lui et se penchait de nouveau sur son ouvrage.

L’ombre changea de place en même temps que le soleil ; mais la petite Dorrit ne quitta pas la sienne, si ce n’est pour soigner son malade. Lorsque le soleil se coucha, elle était encore là. Elle avait achevé sa tâche, et sa main, tremblant sur le bras du fauteuil depuis la dernière fois qu’elle avait donné à boire à Clennam, y restait encore hésitante. Arthur y posa aussi sa main que la petite Dorrit serra dans une étreinte tremblante et suppliante :

« Cher monsieur Clennam, j’ai quelque chose à vous dire avant de vous quitter. Depuis que je suis ici je n’ose ; mais il faut que je vous le dise.