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Tandis qu’il sommeillait et rêvassait de la sorte, si incapable de mesurer le temps qu’il aurait pu prendre indifféremment une minute pour une heure ou une heure pour une minute, il se figura qu’il se trouvait dans un jardin dont une brise humide et chaude éveillait les parfums. Il lui fallut un si grand effort pour lever la tête afin de savoir ce qui en était, que, lorsqu’il regarda autour de lui, cette sensation avait déjà vieilli et ne lui laissait plus qu’un souvenir importun. Sur la table, à côté de sa tasse, il aperçut un bouquet fraîchement cueilli ; un merveilleux bouquet composé des fleurs les plus belles et les mieux choisies.

Jamais il n’avait rien vu de si beau. Il prit les fleurs, en respira l’odeur, les porta à sa tête brûlante, les replaça sur la table, puis étendit ses mains desséchées au-dessus de ce frais bouquet, comme d’autres, en hiver, approchent d’un bon feu leurs mains frileuses. Ce ne fut qu’après s’être réjoui les yeux pendant quelque temps à ce spectacle nouveau pour lui, qu’il commença à se demander d’où lui venaient ces fleurs. Il ouvrit la porte pour questionner la femme de ménage qui avait dû les laisser là, mais elle était déjà partie, et même depuis assez longtemps, sans doute, car le thé qu’il avait à côté de lui était tout froid. Il essaya de boire un peu, mais en vain, l’odeur du thé lui faisait mal. Il se traîna donc encore une fois vers son fauteuil et posa les fleurs sur le petit guéridon d’autrefois.

Lorsque l’espèce d’étourdissement causé par ce mouvement eut cessé, il retomba dans le même état de torpeur qu’auparavant. La brise lui apportait encore un des airs qu’il avait entendus pendant la nuit, quand la porte parut s’ouvrir tout doucement sans qu’on fît tourner la clef dans la serrure, et, au bout d’une minute ou deux, une petite visiteuse bien douce et bien calme, vêtue d’un manteau, s’arrêta sur le seuil. Puis elle rejeta en arrière le manteau qui tomba à ses pieds, et montra la petite Dorrit dans sa vieille robe usée d’autrefois. Il crut la voir trembler, se croiser les mains, sourire, verser des larmes.

Arthur se réveilla et poussa un cri de surprise. Il vit dans l’expression du visage aimant et plein de pitié qui se tourna vers lui, aussi clairement que dans un miroir, combien il était changé. Elle s’avança vers lui, et, posant les mains sur sa poitrine pour l’empêcher de se lever, elle s’agenouilla à ses pieds et pleura sur lui, comme la rosée du ciel avait pleuré sur les fleurs… La petite Dorrit, car c’était bien elle, l’appela par son nom.

« Ô mon meilleur ami ! cher monsieur Clennam, que je ne vous voie pas pleurer ! À moins que ce ne soit de plaisir, comme j’ose l’espérer. Voilà votre pauvre enfant revenue ! »

Si fidèle, si tendre, si peu gâtée par la fortune ! Il y avait des consolations ineffables dans le son de sa voix, dans son regard, dans chaque caresse de sa main.

Tandis qu’Arthur la serrait sur son cœur, elle continua :

« On ne m’avait pas dit que vous étiez malade. »

Et elle passa doucement le bras autour du cou du prisonnier, dont