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tervalles de plus en plus éloignés. Un calme lugubre leur succéda, et, vers le milieu de la semaine, Arthur était en proie à l’abattement d’une fièvre lente.

En l’absence de Pancks et de Cavalletto, il n’avait d’autre visite à craindre que celle des Plornish. Il tenait à éloigner ce digne couple ; car, dans l’était maladif de ses nerfs, il rougissait de laisser voir sa faiblesse et son découragement ; il recherchait, avant tout, la solitude. Il écrivit quelques lignes à Mme  Plornish, lui disant qu’il était très-occupé de ses affaires, et que l’obligation où il se trouvait de s’y dévouer, le forçait à renoncer, pour quelque temps, à l’agréable consolation que lui causait la présence d’un visage ami. Quant à John, qui se montrait tous les jours à une certaine heure (celle où on le relevait de sa faction) pour venir lui demander s’il ne pouvait pas faire quelque chose pour lui, Clennam s’en tirait en faisant semblant d’être occupé à écrire, et en répondant gaiement qu’il n’avait besoin de rien. Ni l’un ni l’autre ne firent plus aucune allusion au sujet de la seule conversation un peu longue qu’ils eussent jamais eue ensemble. Cependant, à travers les diverses phases de son infortune, Clennam était toujours poursuivi par le secret que cet entretien lui avait révélé.

Le sixième des huit jours de grâce accordés par Rigaud était un jour humide, chaud et brumeux. On eût dit que, dans la prison, la pauvreté honteuse, mesquine, sordide, en profitait pour pousser comme un champignon sous l’influence de cette atmosphère étouffante. La tête malade, le cœur fatigué, Arthur avait veillé toute la nuit, écoutant la pluie qui tombait sur les pavés de la cour, et rêvant à celle qui arrosait plus doucement les prairies et les jardins de la campagne lointaine. Un cercle blafard de lueur jaunâtre se leva à l’horizon en guise de soleil, et le prisonnier suivait de l’œil le petit morceau de lumière que ces tristes rayons plaquaient sur le mur de sa chambre, comme une pièce toute neuve sur les guenilles de la prison. Il avait entendu ouvrir la grille ; les visiteurs mal chaussés qui attendaient au dehors avaient passé d’un pas traînard ; on balayait, on pompait, on allait et venait. En un mot la matinée de la Maréchaussée avait commencé. Clennam, si malade et si faible qu’il fut obligé de se reposer plusieurs fois en faisant sa toilette, s’était traîné vers la croisée ouverte et avait sommeillé dans son fauteuil, tandis que la vieille femme de ménage rangeait un peu la chambre.

Ébloui par le défaut de sommeil et la diète (car son appétit l’avait abandonné, et tout ce qu’il mangeait lui paraissait insipide, il se rappelait avoir eu, deux au trois fois, pendant la nuit, une sorte de délire. Il avait entendu, dans l’atmosphère épaisse, des fragments d’airs et de chansons, qui n’avaient d’existence, il le savait bien, que dans son imagination fiévreuse. Maintenant que la fatigue venait lui fermer les yeux, il les entendit de nouveau : il crut qu’on lui parlait, qu’il répondait, et le bruit de sa propre voix le faisait tressaillir.