Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nouvelle ; il n’y a personne qui ne se plaise à la tourner en ridicule. Vous ne vous figurez pas combien le monde tient à ce qu’on le laisse tranquille. Vous ne sauriez vous imaginer combien le génie de la nation… (veuillez excuser la tournure parlementaire de cette locution pour laquelle je vous demande grâce), combien le génie de la nation aime qu’on le laisse tranquille… Croyez-moi, monsieur Clennam, poursuivit le pétulant petit Mollusque de son ton le plus enjoué, le bureau des Circonlocutions n’est pas un de ces méchants géants contre lesquels il faut aller briser une lance ; c’est tout simplement un moulin qui broye une immense quantité de menue paille en se tournant au vent de l’opinion publique.

— Je serais bien fâché de le croire, ce serait malheureux pour tout le monde.

— Comment pouvez-vous dire cela ! Mais c’est tout le contraire. Il faut au monde de mauvaises plaisanteries, nous aimons tous les mauvaises plaisanteries : nous ne pourrions pas nous en passer. Avec quelques mauvaises plaisanteries et des coulisses bien graissées, tout va comme sur des roulettes… pourvu qu’on laisse tout tranquille. »

Après cette charmante profession de foi que les Mollusques dissimulaient sous une foule de mots d’ordre auxquels nul d’entre eux ne croyait, le chef de la nouvelle génération administrative se leva pour prendre congé. On ne pouvait rien voir de plus agréable que ses façons franches et courtoises, ni de mieux adapté aux circonstances particulières de sa visite que les airs élégants de ce gentleman accompli.

« Est-il permis de vous demander (dit-il, tandis que Clennam, sensible à la candeur et à la bonhomie de son hôte, lui donnait une poignée de main) s’il est vrai que feu Merdle, notre regretté collègue de la Chambre des communes, soit pour quelque chose dans le désagrément passager que vous subissez ici ?

— Je suis une des nombreuses dupes qu’il a ruinées. Oui.

— Il faut qu’il ait été joliment habile, » remarqua Ferdinand Mollusque.

Comme Arthur ne se sentait guère disposé à faire le panégyrique du défunt, il garda le silence.

« Une fichue canaille, s’entend, reprit l’autre ; mais terriblement habile ! C’est une justice à lui rendre. Comme il vous jetait de la poudre aux yeux ! comme il connaissait bien son monde ! comme il vous mettait dedans ! L’adroit escamoteur ! (Et on voyait qu’au fond le petit Mollusque éprouvait une admiration réelle pour le défunt.)

— J’espère, répondit Arthur, que la fin de cet intrigant et le tour qu’il a joué à ses dupes serviront de leçon aux autres.

— Mon cher monsieur Clennam, répliqua Ferdinand en riant, seriez-vous vraiment assez naïf pour entretenir un pareil espoir ? Mais le premier escroc venu qui aura le talent et les dispositions