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« Je préférerais la prison de la Maréchaussée à toute autre, répliqua Clennam.

— Ah bah, monsieur ! Ma foi, voilà un drôle de goût : en ce cas, nous ferons aussi bien de nous mettre en route. »

L’homme de loi parut un peu blessé au premier moment, mais il ne tarda pas à pardonner à son client une préférence si bizarre. Ils traversèrent la cour du Cœur-Saignant et se dirigèrent vers les ateliers qui se trouvaient à l’autre bout. Les Cœurs Saignants s’intéressaient plus que jamais à Clennam depuis ses revers : ils pouvaient désormais le regarder comme un compatriote, puisque ses malheurs lui donnaient droit de cité parmi eux. Un certain nombre sortaient pour le regarder passer, faisant observer d’un ton onctueux que ce pauvre M. Clennam avait l’air bien abattu. Mme Plornish et son père se tenaient en haut des marches, à l’autre bout de la cour, très-découragés et secouant la tête.

Personne ne semblait guetter l’arrivée du créancier lorsque Arthur et M. Rugg arrivèrent au bureau. Mais un membre de quelque congrégation israélite, un vieux juif confit dans le rhum, les suivit de près et se présenta à la porte vitrée avant que l’homme de loi eût eu le temps d’ouvrir une seule lettre.

« Oh ! s’écria M. Rugg en levant la tête. Comment vous portez-vous ? Vous pouvez entrer… monsieur Clennam, je crois que c’est là le gentleman dont je vous parlais tout à l’heure. »

Le gentleman en question expliqua le but de sa visite en disant qu’il « s’achisait d’une bédide avaire gonzernant M. Glennam ; » et il s’acquitta de sa mission légale.

« Voulez-vous que je vous accompagne, monsieur Clennam ? demanda M. Rugg avec beaucoup de politesse en se frottant les mains.

— Merci, j’aime mieux aller seul. Ayez seulement la bonté de m’envoyer mes habits. »

M. Rugg répondit d’un ton allègre qu’il n’y manquerait pas et donna une poignée de main à son client. Arthur et son garde du corps gagnèrent la rue, montèrent dans le premier fiacre venu et se dirigèrent vers la grille qu’il connaissait si bien.

« Dieu me pardonne ! se dit Clennam, mais je n’aurais jamais cru que je dusse revenir ici comme détenu. »

M. Chivery était de garde et le jeune John se trouvait dans la loge : soit que son père vînt de le relever de sa faction ou qu’il attendît son tour pour remplacer son père. Tous deux se montrèrent plus étonnés en reconnaissant le nouveau détenu qu’on ne s’y serait attendu de la part d’un guichetier. M. Chivery père lui donna une poignée de main d’un air honteux en lui disant :

« Voilà la première fois, monsieur, que je ne puis pas dire avec sincérité que j’ai du plaisir à vous voir. »

M. Chivery fils fut plus réservé et ne lui donna pas de poignée de main ; il contempla son prisonnier d’un air d’indécision si visible que Clennam, malgré le chagrin qui pesait sur ses yeux et sur