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dre à beaucoup d’indulgence de la part de ceux auxquels il faisait perdre de l’argent. M. Rugg, installé dans le bureau de Clennam, décachetait chaque jour un déluge de reproches et d’invectives. Avant qu’il se fût écoulé une semaine, il annonça à son client qu’il craignait que les créanciers n’eussent déjà obtenu contre lui plusieurs décrets de prise de corps.

« Il faut que je subisse les conséquences de mes actes, dit Clennam. Les recors me trouveront ici. »

Le lendemain même, comme il entrait dans la cour du Cœur-Saignant par le passage au coin duquel se trouvait l’établissement des denrées coloniales de Mme  Plornish, il fut arrêté par cette dame, qui l’attendait sur le seuil de sa boutique, et qui l’engagea mystérieusement à pénétrer dans l’heureuse chaumière. Il y trouva M. Rugg.

« J’ai cru qu’il valait mieux vous attendre ici. À votre place, monsieur, je n’irais pas au bureau ce matin.

— Pourquoi cela, monsieur Rugg ?

— Il y a au moins cinq prises de corps contre vous, à ma connaissance.

— Eh bien, plus tôt ce sera fini, mieux cela vaudra. Qu’ils me prennent tout de suite.

— Oui ; mais, ajouta M. Rugg passant entre Arthur et la porte, entendez donc raison, entendez donc raison. Ils vous prendront toujours assez tôt, monsieur Clennam, je vous en réponds ; mais enfin entendez donc raison. Il arrive presque toujours, dans ces sortes d’affaires, que c’est quelque mauvaise petite créance de rien du tout qui se met en avant et se donne des airs de vouloir arrêter les gens. Or, je sais qu’on a obtenu une contrainte par corps pour une somme insignifiante… un simple mandat du Palace Court… À votre place, je ne me laisserais pas coffrer par sur ce mandat-là.

— Pourquoi pas ?

— J’aimerais mieux me faire prendre pour une des grosses créances, monsieur, répondit l’homme de loi. Pourquoi ne pas sauver les apparences ? Comme votre conseiller, je préférerais vous voir arrêter sur un mandat des tribunaux supérieurs, si vous voulez bien m’accorder cette faveur. Cela fait meilleur effet.

— Monsieur Rugg, répondit Arthur découragé, mon seul désir c’est d’en finir au plus vite. Je vais continuer ma route, advienne que pourra.

— Encore un mot monsieur ! s’écria M. Rugg. L’autre question est une affaire de goût, mais ceci est une question de bon sens. Si on vous arrête pour la petite créance, monsieur, on vous conduira à la prison de la Maréchaussée. Or vous savez ce que c’est que cette prison. Manque d’air. Local étroit et resserré. Tandis que le King’s Bench… »

M. Rugg développa librement sa main droite dans l’air comme pour indiquer une abondance d’espace.