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M. Baptiste commença peu à peu à s’égayer ; mais il ne quitta pas un seul instant le siège où il s’était installé derrière la porte et tout contre la fenêtre, bien que ce ne fût pas là sa place habituelle. Chaque fois que la petite sonnette se mettait à carillonner, il se levait d’un bond pour jeter au dehors un regard furtif, tenant à la main un coin du rideau et se cachant le visage avec le reste. On voyait bien qu’il n’était pas du tout certain que l’homme qu’il craignait ne l’eût pas suivi, avec la sûreté de flair d’air d’un limier de race, malgré tous les circuits et les détours qu’il avait faits.

L’entrée de deux ou trois pratiques et l’arrivée de M. Plornish, qui se présentèrent à divers intervalles entretinrent suffisamment les alarmes de M. Baptiste pour empêcher l’attention de la société d’oublier cet épisode. On avait fini de prendre le thé, les enfants étaient couchés et Mme  Plornish cherchait un moyen adroit et respectueux pour obliger M. Naudy à leur chanter Chloé, lorsque la sonnette retentit de nouveau. Cette fois, elle annonçait la visite de M. Clennam.

L’associé de Daniel Doyce s’était attardé sur ses livres de comptes et sa correspondance ; car les antichambres du ministère des Circonlocutions dévoraient dans le jour une grande partie de son temps. En outre et surtout, il était abattu et songeait avec inquiétude à l’incident survenu tout récemment chez sa mère. Il paraissait triste et fatigué. Il souffrait, en effet, de la fatigue et de l’isolement ; néanmoins en rentrant chez lui au sortir de son bureau, il s’était détourné un peu de son chemin pour annoncer aux habitants de l’heureuse chaumière qu’il avait reçu une seconde lettre de Mlle  Dorrit.

La sensation produite par cette nouvelle détourna de Cavalletto l’attention générale. Maggy, qui avait immédiatement pris place au premier plan, paraissait prête à dévorer les nouvelles de sa petite mère à la fois par les oreilles, le nez, la bouche, et même par les yeux, si ses yeux n’avaient pas été remplis de larmes. Elle fut surtout enchantée lorsque Clennam l’assura qu’il y avait à Rome des hôpitaux ou les malades étaient fort bien traités. M. Pancks gagna de plus en plus dans l’estime générale, en raison du souvenir spécial dont l’avait honoré dans sa lettre Mlle  Dorrit. En voyant tout le monde content et vivement intéressé, Clennam fut amplement récompensé de la peine qu’il avait prise.

« Mais vous êtes fatigué, monsieur, laissez-moi vous faire une tasse de thé, dit Mme  Plornish si vous ne dédaignez pas de prendre quelque chose dans la chaumière. Et nous vous remercions bien des fois, monsieur, d’avoir eu la bonté de penser à nous. »

M. Plornish, se croyant tenu, en sa qualité de maître de maison, de témoigner également sa reconnaissance, eut recours à la formule par laquelle il exprimait toujours, dans une éloquence idéale, la sincérité de ses sentiments et le respect des convenances :

« Jean-Édouard Naudy, dit M. Plornish, s’adressant à son beau-père, monsieur. Ce n’est pas tous les jours que vous voyez des