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sance et non un étranger aussi est-il à regretter que, grâce à votre caractère déraisonnable, vous lui fassiez mauvais visage. Je le regrette, et je le dis à monsieur. Je sais très-bien que vous ne le lui direz pas ; c’est pourquoi je le lui dis pour moi et pour Flintwinch, puisque c’est à nous que monsieur a affaire. »

On entendit tourner la clef dans la serrure de la porte d’entrée ; puis la porte s’ouvrit et se referma. M. Flintwinch ne tarda pas à apparaître. Il ne fut pas plutôt dans la chambre que le visiteur se leva en riant tout haut et serra Jérémie dans ses bras.

« Comment ça va-t-il, ami de mon cœur ? dit-il. Quelle existence menez-vous, mon Flintwinch ? Une existence couleur de rose ? Tant mieux, tant mieux ! Ah ! mais je vous trouve une mine charmante. Vous êtes frais et fleuri ! comme le printemps. Ah ! le bon petit homme ! le brave enfant ! le bon garçon ! »

Tout en prodiguant ces compliments à M. Flintwinch, Blandois, qui lui avait posé une main sur chaque épaule le faisait tourner tant et tant, que les mouvements de l’associé de Mme Clennam finirent par ressembler à ceux d’un toton qui va tomber de guerre lasse.

« J’avais un pressentiment, la dernière fois que je vous ai vu, que nous finirions par nous connaître plus intimement. Sentez-vous que cela vous vienne, Flintwinch ? Sentez-vous que nous allons devenir intimes ?

— Ma foi, non, monsieur, riposta Flintwinch, pas encore. Ne feriez-vous pas mieux de vous asseoir ? Vous vous êtes fait servir derechef un peu de ce vin de Porto, monsieur, si je ne me trompe.

— Ah ! mauvais plaisant ! petit animal ! s’écria le visiteur ; Ah ! ah ! ah ! »

Et Blandois, lançant M. Flintwinch loin de lui, comme pour le bouquet de cette série d’aimables plaisanteries, regagna son siège.

La surprise, la colère, la honte, le soupçon avec lesquels Arthur contempla cette scène le rendirent muet. M. Flintwinch, qui avait reculé de deux ou trois pieds sous l’impulsion qu’on venait de lui communiquer, se rapprocha avec un visage aussi impassible que jamais, sauf qu’il était un peu essoufflé, et regarda fixement Arthur. M. Flintwinch n’était ni moins muet, ni moins impénétrable que d’habitude ; la seule différence qu’on put remarquer en lui, c’est que le nœud de sa cravate, au lieu d’être sous son oreille comme à l’ordinaire, se trouvait derrière sa tête, où il ressemblait à une bourse de cheveux, ce qui donnait à Jérémie un certain air d’homme de cour.

De même que Mme Clennam continuait à tenir les yeux fixés sur Blandois (sur qui ils produisaient un certain effet de fascination semblable à celui d’un regard fixe sur un roquet), de même Jérémie ne cessa pas de regarder Arthur. On eût dit qu’ils s’étaient entendus pour choisir chacun leur victime. Aussi, durant le silence