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L’AMI COMMUN.


Le domestique répondit que mister Boffin était chez lui, et demanda à Wegg si monsieur l’attendait.

« Pas tant de paroles, jeune homme, cela ne me va pas, dit Wegg. Je demande Boffin. »

On les conduisit dans une antichambre, où Wegg, le chapeau sur la tête, se mit, en sifflant, à tourner de l’index les aiguilles de la pendule, et s’amusa à faire aller la sonnerie. Quelques minutes après, on l’introduisait, ainsi que Vénus, dans la chambre de mister Boffin. Il y trouva le boueur doré assis devant un bureau, prit une chaise, et, sans se découvrir, alla se mettre à côté de lui. Immédiatement il se sentit la tête nue, et vit son chapeau lancé par une fenêtre qui venait de s’ouvrir tout exprès.

« Pas de façons insolentes en présence de ce gentleman, dit le propriétaire de la main qui avait fait le coup, ou je vous envoie rejoindre votre chapeau. »

Silas se frappa la tête par un mouvement instinctif, et resta bouche béante devant le secrétaire ; car c’était John, qui, entré sans bruit par une autre porte, lui parlait d’un air sévère.

« Très-bien ! dit Wegg, lorsqu’il fut revenu de sa surprise. J’avais donné l’ordre de vous congédier ; vous n’êtes pas parti ; nous allons voir à cela ; très-bien !

— Moi non plus, je ne suis pas parti, dit une autre voix. »

Mister Wegg tourna la tête, et se vit en face de son persécuteur, l’infatigable démon en chapeau rabattu, casaque de velours, pantalon du même, et qui, dénouant le mouchoir dont sa figure était bandée, montra le visage intact du cher Salop.

« Ah ! ah ! ah ! gentlemen, rugit le brave garçon en éclatant de rire, il ne savait pas que je pouvais dormir debout ; je l’ai fait assez souvent quand je tournais la manivelle, du temps que j’étais calandreur. Il ne savait pas que je prenais toutes sortes de voix quand je lisais les affaires de police à missis Higden. Ah ! je lui en ai fait voir de rudes, allez ! il a mené une drôle de vie ; vous pouvez en être sûr. » Et ouvrant une bouche d’une grandeur alarmante, le bon Salop jeta sa tête en arrière, éclata de rire, et montra une quantité de boutons incalculable.

« Très-bien ! Un et un font deux, reprit Wegg qui, d’abord un peu déconfit, ne tarda pas à se remettre. Voilà deux êtres qu’on devait renvoyer et qui ne le sont pas. Une question, Boffin : au service de qui était ce garçon-là, et qui lui a donné ce vêtement ?

— Vous tairez-vous ? s’écria Salop, en avançant la tête. Je vous jette dans la rue, moi, si vous parlez comme ça. »

Mister Boffin l’apaisa d’un geste, et répondit avec calme : « C’est moi qui l’ai employé.