Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/351

Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
L’AMI COMMUN.


— En attendant, monsieur, voulez-vous souper avec nous ? »

L’officier de police entra dans le bar et alla s’asseoir en face des convives.

« Merci, dit-il, je soupe beaucoup plus tard ; mais je prendrai avec plaisir un verre de flip, si toutefois c’est du flip que je vois auprès du feu.

— Certainement, répondit l’hôtesse, du flip de ma façon ; et si vous en trouvez de meilleur, vous me direz à quel endroit ; je serai bien aise de le savoir. » Elle remplit un verre du liquide fumant, le passa au fonctionnaire, et remit le pot à côté du feu ; ses convives n’en étaient pas encore au flip.

« Ah ! voilà qui est parfait ! Il n’est pas d’agent dans tout le service de sûreté qui puisse découvrir mieux que cela.

— Vous me faites plaisir, dit l’hôtesse ; car vous êtes connaisseur.

— À votre santé, miss Abbey ; à la vôtre, mister Potterson, et à celle de mister Kibble ; j’espère que vous avez fait tous les deux bon voyage ? »

Mister Kibble, un gros homme suintant la graisse, parlant peu, mangeant beaucoup, porta son ale à ses lèvres en disant avec plus de brièveté que de justesse : « Et moi de même.

— Merci, monsieur, répondit Potterson, un demi-marin à figure sympathique et aux manières obligeantes.

— Le ciel me bénisse ! s’écria l’inspecteur ; parlez-moi des carrières pour mettre leurs cachets sur les hommes ; qui ne verrait tout de suite que votre frère est steward, miss Abbey ? Il a une promptitude dans le regard, une sûreté dans les mouvements, une activité, un quelque chose dans toute sa personne qui vous rassure, et vous promet, en cas de mal de mer, que le bassin arrivera à propos ; enfin tout ce qui caractérise un steward. Et mister Kibble : passager des pieds à la tête ; une tournure commerciale à vous le faire créditer de cinq cents livres. Ne voyez-vous pas la mer briller dans toute sa personne ?

— Non, monsieur, répondit miss Abbey. Quant à la place de steward, il est temps que mon frère y renonce. Je veux me retirer ; et s’il ne la prend pas, la maison tombera ; je ne la vendrai ni pour or, ni pour argent à quelqu’un dont je ne serai pas sûre ; il faut qu’on y fasse la loi, comme je l’y ai faite moi-même.

— Bien parlé, dit l’inspecteur ; ce serait dommage ; pas de maison mieux tenue — que dis-je ? à moitié aussi bien tenue que celle-ci. Oui, mister Kibble ; demandez une perfection, et jusqu’au dernier constable, chacun vous indiquera les Joyeux-Portefaix.

Mister Kibble approuva d’un signe de tête.