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L’AMI COMMUN.

Cette phrase étant peu intelligible pour lui, le vieux Juif n’y attacha pas d’importance ; et revenant aux blessures de l’indigne, insinua qu’il croyait de son devoir d’aller soigner ce chien battu.

« Oh ! marraine, s’écria Jenny d’une voix irritée, marraine, marraine, vous me ferez perdre patience. On dirait que vous croyez au bon Samaritain ; est-ce que l’Évangile vous regarde ? Soyez donc conséquent.

— Ma fille, commença le vieillard, c’est la coutume des Israélites d’aller secourir…

— Au diable les Israélites et leur coutume, interrompit miss Wren. S’ils n’ont rien de mieux à faire que d’aller soigner Petits-Yeux, je regrette qu’ils soient sortis d’Égypte. D’ailleurs il n’en voudrait pas, de votre secours ; il est trop honteux pour cela ; que personne n’en sache rien, et qu’on le laisse tranquille, voilà tout ce qu’il demande. »

Le débat continuait, lorsqu’une ombre apparut dans le vestibule, et fut suivie d’une lettre qui avait pour adresse le nom de Riah tout court, sans plus de cérémonie. Ce billet, dont le messager attendait la réponse, était griffonné au crayon, et renfermait les lignes suivantes, tracées en zigzags, et d’une main convulsive :

« Vieux Riah,

« Vos comptes sont vérifiés ; allez-vous-en. Fermez la maison, et remettez les clefs au porteur. Décampez tout de suite, maudit ingrat ! Dehors, chien de Juif que vous êtes.

« F. »

Miss Wren suivit avec bonheur, dans cette écriture informe, la trace des contorsions et des soubresauts de Criant-Cuisant-Geignant, et se donna la joie d’en plaisanter et d’en rire, à la grande surprise du commissionnaire, pendant que le vieillard rassemblait ses quelques hardes et les mettait dans un sac noir. Le paquet terminé, les contrevents et les volets barrés, le vieillard, accompagné de miss Wren et du commissionnaire, sortit de la maison, ferma la porte, et en remit la clef au porteur, qui s’éloigna immédiatement.

Restés sur la dernière marche, le vieillard et la jeune fille se regardèrent : « Eh bien ! marraine, dit la petite habilleuse, vous voilà sur le pavé ?

— Cela me fait cet effet-là, répondit le vieillard.

— Où comptez-vous chercher fortune ? » demanda miss Wren.

Le vieux Juif eut un sourire, puis jeta les yeux autour de