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L’AMI COMMUN.

voir mister Headstone (Charley était maintenant professeur dans un autre pensionnat).

— Très-bien, Mary-Anne. »

Nouvelle requête du bras de l’élève. « Vous pouvez parler, Mary-Anne.

— Mister Headstone, madame, a fait signe de venir à mister Hexam ; puis il est rentré sans l’avoir attendu. Lui aussi, madame, il vient d’entrer ; et il a fermé la porte. »

Ainsi que mon cœur, pensa miss Peecher.

L’élève agita de nouveau son bras télégraphique.

« Qu’est-ce que c’est, Mary-Anne ?

— Il doit faire bien sombre autour d’eux, madame ; car les jalousies sont baissées, et ni l’un ni l’autre ne les remonte.

— Des goûts et des couleurs, dit la bonne petite miss en portant la main à son petit corsage méthodique pour étouffer un soupir, des goûts et des couleurs il ne faut pas disputer, Mary-Anne. »

À la vue de son ami, qu’enveloppait l’ombre jaune du parloir, Charley s’arrêta au seuil de la porte.

« Entrez, lui dit Bradley, entrez. »

Hexam se dirigea vers la main qui lui était tendue, mais s’arrêta de nouveau sans la prendre. Les yeux injectés de sang du malheureux Bradloy se levèrent avec effort, et rencontrèrent le regard de son ancien élève.

« Savez-vous la nouvelle, mister Headstone ?

— Quelle nouvelle ?

— À propos de ce Wrayburn ; on dit qu’il a été tué.

— Il est donc mort ! » s’écria Bradley.

Hexam le regardait toujours. Bradley se passa la langue sur les lèvres, jeta les yeux autour du parloir, puis sur le jeune homme et les baissa vivement. « J’ai entendu dire qu’on l’avait attaqué, reprit-il en s’efforçant de dominer ses lèvres convulsives, mais je n’en savais pas le résultat.

— Où étiez-vous alors ? observa Charley en s’avançant ; ne dites rien, je ne demande pas de réponse ; la confidence que vous m’obligeriez à recevoir serait répétée mot pour mot, je vous en avertis, monsieur ; prenez garde, mot pour mot. »

Ces paroles semblèrent causer une vive douleur au malheureux maître ; l’air désolé qui naît d’un complet abandon, tomba sur lui comme une ombre visible.

« À moi la parole, continua Charley, pas à vous ; si vous la prenez, c’est à vos risques et périls. Je ne suis pas venu ici pour vous entendre, mais pour vous mettre sous les yeux votre effroyable égoïsme, et vous montrer que je ne peux plus et ne veux plus avoir rien de commun avec vous. »