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L’AMI COMMUN.

sont par le vent, que Bradley et son élève gagnèrent la région de Leadenhall-street, pour arrêter Lizzie au passage. Arrivés trop tôt, ils allèrent se mettre dans un angle en attendant qu’elle parût. Le plus charmant des hommes caché et transi dans un coin n’y aurait pas très bon-air ; et Bradley y fit réellement une assez piètre figure.

« La voilà, monsieur ; allons à sa rencontre. »

Lizzie les aperçut et parut un peu troublée ; elle fit néanmoins à Charley son accueil habituel, et toucha la main que lui tendait le maître de pension.

« Où vas-tu, chéri ? demanda-t-elle à son frère.

— Nulle part ; nous sommes ici pour te rencontrer.

— Moi, Charley ?

— Oui ; nous venons te prendre pour faire un tour de promenade. Ne suivons pas ces grandes rues pleines de monde et où l’on ne peut pas causer ; allons dans un endroit plus calme ; tiens, à côté de l’église nous y serons plus tranquilles.

— Mais ce n’est pas mon chemin, dit-elle.

— Si, répondit l’écolier avec pétulance ; c’est la route que je prends ; et ma route est la tienne. »

Lizzie, qui lui tenait toujours la main, le regarda d’un air étonné. Il détourna la tête pour éviter ce regard, et appela mister Headstone. Bradley vint se mettre à côté de lui, non près d’elle ; le frère et la sœur continuèrent de se tenir par la main.

La cour où ils étaient entrés les conduisit à un cimetière, espèce de square entouré d’une grille, et s’élevant d’environ quatre pieds au-dessus de la place dont il occupait le centre. Là, convenablement et sainement installés au-dessus des vivants, gisaient les morts sous leurs pierres sépulcrales, dont quelques-unes s’écartaient de la perpendiculaire et le front courbé, semblaient honteuses des mensonges qu’elles énonçaient. Les promeneurs avaient déjà fait une fois le tour de la place ; ils marchaient d’un air contraint, et avec un malaise évident, lorsque Charley s’arrêta, et dit tout à coup : Lizzie, mister Headstone a une communication à te faire ; je ne veux pas vous gêner, et vais flâner dans les environs ; je reviendrai tout à l’heure. »

Ils avaient fait quelques pas, laissant Bradley derrière eux. « Je sais, d’une manière générale, ajouta Charley, ce dont il va t’entretenir. J’approuve hautement ses intentions ; et j’espère, ou plutôt je suis sûr que tu consentiras à ce que nous désirons, lui et moi. Je n’ai pas besoin de te rappeler que j’ai à mister Headstone les plus grandes obligations, et que je souhaite de toute mon âme que ses projets réussissent. Tu partages mes sentiments, ce qui est d’une bonne sœur ; je n’ai aucun doute à cet égard.