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L’AMI COMMUN.

— C’est John Elwes, monsieur, qui vient après ; son histoire vous serait-elle agréable ?

— Certes, dit le boueur doré ; voyons ce qu’a fait John Elwes ? »

Celui-ci n’ayant caché ni pièces d’or, ni billets, son histoire sembla peu attrayante. Mais une lady Wilcocks, chez laquelle on trouva dans une boîte à horloge un vieux pot rempli de guinées et de schellings, plus une boîte de fer-blanc renfermant une somme considérable, et déposée dans un trou pratiqué sous l’escalier ; enfin, dans une ratière, une quantité de monnaie d’or et d’argent, cette lady Wilcoks ranima l’intérêt.

À cette femme exemplaire succéda une mendiante, qui laissa une foule de petites sommes enveloppées dans des guenilles ou des chiffons de papier, et qui, au total, composaient une fortune. Après cette pauvresse vint une marchande de pommes dont les économies s’élevaient à dix mille livres (deux cent cinquante mille francs), et qui les avait cachées çà et là, dans les fentes des murs, derrière les briques et sous les carreaux de sa chambre. Puis un Français, qui avait mis les siennes dans la cheminée ; si bien qu’après sa mort, ayant fait ramoner celle-ci, on y découvrit une valise où il y avait trente mille francs et une quantité de pierres précieuses.

Enfin Silas Wegg arriva à ce dernier récit des faits et gestes de l’absurdité humaine. « Il existait à Cambridge, il y a déjà longtemps, un vieux couple du nom de Jardine ; ce couple avait deux garçons. À la mort du père, qui était fort avare, on trouva mille guinées dans sa paillasse. Les deux fils prirent des goûts non moins parcimonieux, et à l’âge de vingt ans ils s’établirent à Cambridge, où ils se mirent drapiers, et où ils restèrent jusqu’à leur mort. La boutique des frères Jardine était la plus noire, la plus sale qu’il y eût dans toute la ville. On n’y entrait guère que par curiosité ; les acheteurs s’y voyaient rarement. Rien de plus ignoble que l’aspect des deux frères ; car, bien qu’ils fussent entourés de pièces d’étoffe, ils n’avaient sur eux que des haillons d’une malpropreté insigne. On raconte qu’ils n’avaient pas même de lit ; ils couchaient sur des toiles d’emballage, empilées sur le comptoir. De meubles nulle part ; et le menu était à l’unisson ; il y avait plus de vingt ans qu’il n’avait paru de viande sur leur table. Aussi avares l’un que l’autre, ils s’entendaient à merveille ; et néanmoins après le décès du premier qui mourut, le survivant trouva des sommes considérables dans diverses cachettes dont il ignorait l’existence.

« Voyez-vous ! s’écria mister Boffin, des cachettes dont il ignorait l’existence ! Ils n’étaient que deux, et l’un avait des cachettes pour l’autre ! »