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bientôt. Je l’aime beaucoup, c’est ma meilleure amie. Asseyez-vous, monsieur. Et ce gentleman, quel est-il ?

— Mister Headstone, mon maître de pension.

— Asseyez-vous, monsieur ; et d’abord, veuillez fermer la porte ; je ne peux pas le faire moi-même, j’ai si mal au dos et les jambes si faibles ! »

La porte fermée, ils prirent chacun une chaise, pendant que la petite personne, qui s’était remise à l’ouvrage, étendait de la colle sur de petits morceaux de carton, ou de petites plaques de bois très-minces et de formes diverses, qu’elle assemblait ensuite. Les ciseaux et les couteaux, placés à côté d’elle, montraient que la petite personne avait taillé elle-même toutes ces plaquettes ; et les bouts de ruban, de soie et de velours qui jonchaient l’établi, annonçaient qu’après avoir été convenablement bourrés, les cartonnages seraient brillamment recouverts. Ses doigts agiles étaient d’une incroyable dextérité, et lorsque, rapprochant deux petites feuilles de carton, la petite ouvrière les réunissait en les faisant mordre un peu l’une sur l’autre, elle lançait à ses visiteurs, du coin de ses yeux gris, un regard où se concentrait tout ce qu’il y avait en elle de pénétration et de finesse.

« Je parie, dit-elle, que vous ne devinez pas quel est mon métier ?

— Vous faites des pelotes, répondit Charles.

— Et avec cela ?

— Des essuie-plumes, dit mister Headstone.

— Et puis encore ? Vous êtes maître de pension, mais vous ne devinerez pas.

— C’est quelque chose où il entre de la paille, répondit Bradley en désignant celle qui était sur l’établi ; seulement, je ne sais pas ce que c’est.

— Battus ! s’écria la petite personne ; je ne fais des pelotes et des essuie-plumes que pour utiliser mes rognures ; mais la paille appartient à mon vrai métier. Voyons ! essayez encore : qu’est-ce que je fais de ma paille ?

— Des paillassons de salle à manger.

— Oh ! des paillassons ! quelle réponse pour un maître d’école ! Voyons, je vais vous souffler : j’aime mon amie par C, parce qu’elle est charmante ; je la déteste, parce qu’elle est capricieuse ; je l’ai prise à l’enseigne du Cavalier d’Or ; je lui fais présent d’un chapeau ; je la nomme Coquette, et je l’envoie à Cythère. Maintenant, qu’est-ce que je fais de ma paille ?

— Des chapeaux de dame.