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vous parler ouvertement. Si vous avez l’idée que je doive être jaloux de ce bonheur que vous pouvez donner ; que je ne saurai me résigner à vous voir aux mains d’un plus cher protecteur, choisi par vous ; que je ne pourrai pas, dans mon isolement, voir d’un œil satisfait votre bonheur, bannissez cette pensée : vous ne me rendez pas justice. Je n’ai pas tant souffert pour rien. Vous n’avez pas perdu vos leçons. Il n’y a pas le moindre alliage d’égoïsme dans la pureté de mes sentiments pour vous. »

Elle était redevenue calme. Au bout d’un moment, elle tourna vers moi son visage pâle encore, et me dit d’une voix basse, entrecoupée par l’émotion, mais très-distincte :

« Je dois à votre amitié pour moi, Trotwood, de vous déclarer que vous vous trompez. Je ne puis vous en dire davantage. Si j’ai parfois eu besoin d’appui et de conseil, ils ne m’ont pas fait défaut. Si quelquefois j’ai été malheureuse, mon chagrin s’est dissipé. Si j’ai eu à porter un fardeau, il a été rendu plus léger. Si j’ai un secret, il n’est pas nouveau… et ce n’est pas ce que vous supposez. Je ne puis ni le révéler, ni le faire partager à personne. Voilà longtemps qu’il est à moi seule, et c’est moi seule qui dois le garder.

— Agnès ! attendez ! Encore un moment ! »

Elle s’éloignait, mais je la retins. Je passai mon bras autour de sa taille. « Si quelquefois j’ai été malheureuse !… Mon secret n’est pas nouveau ! » Des pensées et des espérances inconnues venaient d’assaillir mon âme : un nouveau jour venait d’illuminer ma vie.

« Mon Agnès ! vous que je respecte et que j’honore, vous que j’aime si tendrement ! Quand je suis venu ici aujourd’hui, je croyais que rien ne pourrait m’arracher un pareil aveu. Je croyais qu’il demeurerait enseveli au fond de mon cœur, jusqu’aux jours de notre vieillesse. Mais, Agnès, si j’entrevois en ce moment l’espoir qu’un jour peut-être il me sera permis de vous donner un autre nom, un nom mille fois plus doux que celui de sœur !… »

Elle pleurait, mais ce n’étaient plus les mêmes larmes : j’y voyais briller mon espoir.

« Agnès ! vous qui avez toujours été mon guide et mon plus cher appui ! Si vous aviez pensé un peu plus à vous-même, et un peu moins à moi, lorsque nous grandissions ici ensemble, je crois que mon imagination vagabonde ne se serait jamais laissée entraîner loin de vous. Mais vous étiez tellement au-dessus