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même on les paye sans qu’elles aient été faites, ce qui est le plus ordinaire, car personne n’en a besoin. Et vous êtes forcé de prendre part à ce chassé-croisé de frais et d’honoraires, de sottise et de corruption plus infernal, cent fois, qu’on n’en rêva jamais dans les plus folles visions du sabbat des sorcières. L’équité naturelle pose des questions au droit légal ; le droit y répond par d’autres questions à l’équité. Le droit trouve que cela ne peut pas aller comme ceci ; l’équité que cela ne peut pas se passer comme ça, et ni l’un ni l’autre ne peuvent rien pour vous sans maîtres tels et tels, avocats et avoués comparaissant pour A ; et maîtres tels et tels comparaissant pour B ; ainsi de suite jusqu’à Z ; et les choses vont de la sorte d’années en années, de plaideurs en plaideurs, recommençant toujours et ne finissant jamais ; et vous ne pouvez pas même renoncer à ce procès, car vous en faites partie, et partie vous devez être — que vous le vouliez ou non. D’ailleurs cela ne servirait à rien d’y penser ; sitôt que l’idée en vint à notre pauvre oncle Tom, ce fut pour lui le commencement de la fin.

— Le M. Jarndyce dont l’histoire m’a été racontée ? demandai-je.

— Oui, répondit-il gravement ; j’héritai de lui ; cette maison était la sienne, et méritait bien qu’on l’appelât la maison désolée ; quel cachet de misère n’avait-elle pas alors ! Autrefois on la nommait les Pignons ; c’est mon pauvre oncle Tom qui lui donna le nom lugubre qu’elle porte aujourd’hui. Le malheureux y vivait enfermé, courbé nuit et jour sur les pièces du procès, dans l’espoir de le dépouiller de ses mystifications et de l’amener à bonne fin. Pendant ce temps-là, sa demeure dépérissait ; le vent soufflait à travers les murailles ; le toit effondré laissait passer la pluie, l’herbe emplissait les allées qui conduisaient à la porte vermoulue ; et quand je vins ici, rapportant ce qui restait de mon malheureux oncle, il me sembla que sa maison s’était, en même temps que lui, fait sauter la cervelle, car on n’y voyait plus que débris et que ruines. »

Il marchait à grands pas et tressaillit en disant ces paroles ; puis il me regarda ; son visage s’éclaircit, et il revint s’asseoir, ses deux mains dans ses poches.

« Esther, je vous l’ai dit, reprit-il, c’est pour grogner qu’on vient ici. Où en étais-je ?

— À l’heureux changement que vous avez fait dans cette maison, répondis-je.

— C’est vrai, dit-il, et je reprends mon récit. Nous possédons dans certains quartiers de Londres d’autres immeubles qui