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sidérer comme appartenant à une corporation de quelques milliers de conspirateurs noirs et menaçants, qui, deux ou trois fois par semaine, font, à la lueur des torches, quelque protestation dans un but illégal.

Néanmoins, le fils de mistress Rouncewell a pris des années, est devenu maître dans son art, s’est marié, a des enfants. Il a un fils à son tour dont l’apprentissage est fini, et qui, au retour d’un voyage qu’il a fait en pays étranger pour étendre ses connaissances, est venu voir sa grand’mère. C’est lui qui est précisément appuyé contre la cheminée, dans la chambre que mistress Rouncewell occupe à Chesney-Wold.

«  Je suis bien heureuse de te voir, lui dit la femme de charge, bien heureuse, mon cher Watt. Tu es si beau garçon ! tout le portrait de ton oncle George. »

Les mains de mistress Rouncewell tremblent d’émotion, comme toujours, quand elle parle de ce dernier.

«  On dit, grand’mère, que je ressemble à mon père.

— C’est vrai, mon enfant, mais bien plus encore à ton pauvre oncle. Et ton père, comment va-t-il ?

— À merveille.

— J’en remercie Dieu de tout mon cœur. »

Mistress Rouncewell a pour son fils une affection profonde ; mais elle éprouve en même temps une sorte de pitié douloureuse à son égard, comme si, par exemple, ayant été militaire, il avait passé à l’ennemi.

«  Est-il vraiment heureux ?

— Complétement, grand’mère.

— Dieu soit loué, mon enfant ! Et il t’a élevé pour suivre la même carrière, et t’a fait voyager dans cette intention-là ? Enfin il connaît ça mieux que moi. Il peut y avoir, en dehors de Chesney-Wold, un monde auquel je n’entends rien, quoique je ne sois pas jeune et que j’aie vu toujours d’excellente compagnie.

— Grand’mère, dit Watt en changeant de conversation, quelle jolie personne j’ai trouvée là tout à l’heure ! C’est Rosa que vous l’appelez ?

— Oui, mon enfant ; sa mère est une pauvre veuve du village. Les filles qu’on prend en service ont aujourd’hui la tête si dure que j’ai voulu former celle-là de bonne heure et l’avoir auprès de moi. Elle mange à ma table et ne me quitte guère : c’est une bonne élève ; je crois qu’elle ira bien. Elle montre déjà très-joliment le château aux étrangers qui viennent le visiter.

— J’espère que ce n’est pas moi qui l’ai fait fuir ?