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BLEAK-HOUSE

raine, je parcourus de nouveau les années que j’avais passées à Greenleaf ; et les folles visions qui avaient tremblé dans l’ombre où s’était écoulée mon enfance surgirent encore, me rappelant cette idée qui m’était venue souvent : M. Jarndyce devait connaître mon histoire ; j’avais été jusqu’à rêver qu’il pouvait être mon père ; mais ce rêve était maintenant complétement effacé. Je me levai tout à coup et rentrant en moi-même : « Ce n’est plus au passé, me dis-je, mais au présent que j’appartiens aujourd’hui et que je dois me consacrer tout entière avec joie et reconnaissance. À tes devoirs, Esther, à tes devoirs ! » m’écriai-je en secouant mon petit panier ; les clefs qu’il contenait, vibrèrent comme des clochettes, et, encouragée par leur tintement joyeux, je me couchai pleine d’espoir.


CHAPITRE VII.

Le Promenoir du Revenant.

Esther est endormie ; et tandis qu’elle repose, tandis qu’elle veille, il pleut dans le trou du Lincolnshire. Nuit et jour, la pluie incessante tombe sur les larges dalles que l’on appelle le Promenoir du Revenant ; le temps est si affreux que l’imagination la plus vive a de la peine à se figurer qu’il puisse redevenir beau. D’ailleurs la vie et l’imagination n’abondent pas à Chesney-Wold ; sir Leicester, qui sous ce rapport y eût peu mis du sien, n’est pas dans le Lincolnshire, mais à Paris avec milady Dedlock, et la solitude couvre de ses ailes le château du baronnet.

Il se peut toutefois qu’il se fasse quelque mouvement dans l’esprit des animaux inférieurs qui habitent Chesney-Wold. Les chevaux, par exemple, au fond des longues écuries situées dans la basse-cour, désert entouré de murs en briques, où s’élève une tourelle contenant une cloche et une horloge, il se peut qu’ils contemplent quelque peinture imaginaire d’un beau jour, et se montrent plus artistes que leurs palefreniers. Le vieux rouan, si habile à franchir tout obstacle, qui tourne ses grands yeux vers la fenêtre placée auprès de son râtelier, songe peut-être au vert feuillage qu’à une autre époque il voyait briller, aux senteurs qui accompagnaient la fanfare, et, entraîné par ses souve-