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BLEAK-HOUSE

Je souhaitai le bonjour à l’horrible vieillard, et m’empressai de rejoindre mes amis dans la rue, où la pauvre folle nous quitta en nous donnant sa bénédiction en grande cérémonie, après avoir renouvelé la promesse qu’elle nous avait faite la veille de nous léguer d’immenses domaines.

Au moment de sortir de cette ruelle, nous nous retournâmes, et nous vîmes M. Krook sur sa porte, nous regardant à travers ses lunettes avec sa chatte sur l’épaule. La queue de l’animal, dressée comme un plumet, semblait faire partie de la coiffure de son maître.

« Une véritable aventure ! dit Richard en soupirant. Ah ! cousine, cousine, quel mot affreux que celui de Chancellerie !

— J’en ai toujours eu peur dit Éva. Je suis si malheureuse, d’être l’ennemie, sans le savoir, de tant de gens, qui, à leur tour, sont les miens ; de penser que nous nous ruinons mutuellement, sans même savoir pourquoi, et que nous passerons toute notre vie dans l’inquiétude et la discorde ! Le bon droit est pourtant quelque part. N’est-il pas bien étrange que, depuis tant d’années qu’on s’en occupe, un juge honnête et pénétré de ses devoirs n’ait pas encore pu découvrir où il se trouve ?

— Oui, cousine, c’est quelque chose de bien étrange en effet ! que cette partie d’échecs, inutile et ruineuse ; que cette cour, impassible dans sa sérénité, au milieu des misères qu’elle fait naître et qu’elle prolonge ! Ma tête s’égare à force de me demander comment tout cela pourrait exister, si les hommes n’étaient pas des fous ou des fripons, et mon cœur se brise en pensant que peut-être sont-ils l’un et l’autre. Mais, quoi qu’il arrive, chère Éva…. vous permettez que je vous appelle ainsi ? … quoi qu’il arrive, la chancellerie n’influera pas sur nous. Grâces à notre bon parent, nous voilà réunis ; elle ne peut plus nous séparer maintenant.

— Je l’espère, cousin Richard. »

Miss Jellyby me pressa le bras en me regardant d’un air significatif ; je répondis par un sourire, et notre promenade s’acheva gaiement. Nous étions rentrés déjà depuis quelque temps, lorsque mistress Jellyby sortit de sa chambre, et, une heure après environ, tout ce qui était nécessaire pour le déjeuner arriva peu à peu dans la salle à manger.

Il est probable que mistress Jellyby s’était déshabillée comme tout le monde avant de se mettre au lit, mais rien dans son aspect ne le faisait supposer. Elle fut très-occupée pendant tout le déjeuner, car le courrier du matin lui apporta une énorme quantité de lettres, toutes relatives à Borrioboula Gha, qui