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che comme une rose, saine comme une pomme, s’assied avec son ouvrage, et M. Bagnet, supposant qu’elle ne songe plus à ses légumes, dit au sergent d’exposer son affaire.

M. Georges explique alors ce qui l’amène, et discrètement s’adresse à l’artilleur, mais en conservant un œil sur la vieille, ainsi que M. Bagnet le fait lui-même en l’écoutant. Non moins discrète, elle semble ne faire attention qu’à sa couture ; et, lorsque l’affaire est complétement exposée, M. Bagnet a recours à l’artifice qu’il emploie dans les grandes occasions pour sauver les apparences et maintenir la discipline.

«  C’est là tout ce que tu avais à me dire, Georges ? demande-t-il au sergent.

— Pas autre chose, répond celui-ci.

— Et tu agiras d’après mon opinion ?

— Complétement, répond M. Georges.

— Eh bien ! la vieille, reprend M. Bagnet, donne-lui mon opinion, tu la connais ; dis-lui ce que je pense. »

L’avis de M. Bagnet, exprimé par sa femme, est que M. Georges doit se méfier de certaines gens qui en savent trop long pour lui, et ne point se mêler d’affaires qu’il ne peut pas comprendre ; que la raison commande de ne pas agir dans l’ombre, de ne faire partie d’aucun mystère, et de ne jamais poser le pied où l’on ne voit pas le terrain. Cette opinion soulage tellement l’esprit de M. Georges, dont elle bannit les doutes, qu’il se prépare à fumer une seconde pipe, et se met à causer d’autrefois avec tous les membres de la famille Bagnet, chacun apportant à la conversation les souvenirs que lui permettent son âge et sa propre expérience.

Il en résulte que le temps passe d’une manière fort agréable, et que le sergent ne se lève de sa chaise qu’au moment où le basson et le fifre sont attendus au théâtre ; et, comme il faut encore quelques instants à M. Georges pour prendre congé de Malte et de Québec, pour glisser un schelling dans la poche de son filleul en félicitant le jeune Woolwich de ses succès, il commence à faire nuit quand le sergent se dirige de nouveau du côté de Lincoln’s-Inn-Fields.

«  Un intérieur, si petit qu’il soit, et une famille, rumine-t-il en marchant, font sentir, à un homme de mon espèce, combien il est isolé. N’importe ; j’ai bien fait de ne pas me marier ; je ne convenais point pour cette évolution. J’ai encore l’humeur si vagabonde, que je ne tiendrais pas un mois de suite à la galerie, si c’était une occupation régulière, ou si je n’y étais pas en camp volant comme un Bohémien. Et puis, je ne déshonore et