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— Parce que, à l’exception de la consigne et des règlements militaires, je ne connais rien aux choses de ce monde. En fait de civil, je ne suis bon à rien, comme on dit ; je n’ai pas l’esprit aux paperasses, et je serais plus à mon aise sous le feu croisé d’une batterie que sous les questions qu’on m’adresse. Je disais à M. Smallweed, il y a une heure à peine, que, lorsqu’on m’entortille avec des phrases, il me semble qu’on m’étouffe, et c’est la sensation que j’éprouve en ce moment, » ajoute M. Georges en regardant ceux qui l’entourent.

Il fait trois pas en avant pour remettre les papiers qu’il tient sur le bureau du procureur, trois pas en arrière pour revenir à sa place où il reste debout, les mains derrière le dos comme pour s’empêcher de recevoir n’importe quelle autre pièce.

M. Smallweed, exaspéré, a sur la langue les épithètes favorites de son vocabulaire, mais il parvient à se contenir, bégaye quelques monosyllabes et finit par exhorter son cher ami à se montrer plus sage, à faire ce que désire un gentleman si éminent, et à le faire de bonne grâce, bien persuadé que la chose qu’on lui demande est aussi honnête que profitable. M. Tulkinghorn se contente de laisser tomber de temps en temps quelque phrase comme celle-ci : « Vous êtes meilleur juge que personne de vos intérêts… si vous craignez de faire du mal à quelqu’un… faites comme vous voudrez, vous êtes le maître. » Il prononce ces mots avec une parfaite indifférence, jette un coup d’œil sur les papiers dont sa table est couverte, et se prépare à écrire quelque lettre.

M. Georges regarde d’un air de défiance autour de lui, jette les yeux au plafond, les reporte sur le tapis, du tapis sur l’avare, de l’avare sur le procureur, et de l’avoué au plafond, s’appuyant, dans son trouble, tantôt sur une jambe et tantôt sur une autre.

«  Je ne voudrais pas vous offenser, dit-il enfin ; mais je vous assure, monsieur, qu’entre vous et M. Smallweed, ici présent, je suis complétement suffoqué ; j’étouffe mille fois pour une ; je ne suis pas de force à me défendre contre des avocats ; permettez-moi de vous demander seulement, dans le cas où je pourrais trouver quelques lignes de la main du capitaine, pourquoi il vous importe de voir son écriture ?

— Si vous connaissiez les affaires, sergent, répond M. Tulkinghorn en secouant la tête avec calme, je n’aurais pas besoin de vous dire qu’il y a, dans la profession que j’exerce, des raisons confidentielles, bien que fort innocentes par elles-mêmes, qui donnent souvent lieu à des demandes de la nature de celle que je vous adresse et qu’il est impossible de divulguer. Mais si