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cependant pauvre Jo, il s’est accompli sur la terre des actes si touchants pour le salut des hommes, et l’histoire en est tellement simple, que si tous les Chadband s’écartant avec respect, laissaient rayonner jusqu’à toi la lumière qui émane de ce récit, assez éloquent en lui-même pour se passer de leurs discours, tu resterais éveillé, Jo, et tu comprendrais cette parole, car tu serais attendri. »

Jo n’a jamais entendu dire qu’un pareil livre existât ; les évangélistes et le révérend Chadband ne font qu’un à ses yeux ; excepté pourtant qu’il connaît le révérend et courrait volontiers pendant une heure pour ne pas l’écouter cinq minutes.

«  J’ai rin à faire ici, et pas besoin d’attendre, se dit Jo en lui-même ; M. Snagsby n’me dira rin à c’soir.  » Et il descend l’escalier.

En bas, il trouve la charitable Guster, appuyée sur la rampe et s’efforçant de lutter contre l’impression qu’ont produite sur elle les cris de mistress Snagsby ; elle tient à la main son propre souper : un morceau de pain et de fromage qu’elle donne à Jo ; et pour la première fois elle s’aventure à lui parler.

«  V’là un peu d’quoi manger, mon pauv’garçon, lui dit-elle.

— Merci, m’zelle, répond Jo.

— Avez-vous faim ?

— Un peu !

— Et vos père et mère ? quoi donc qui sont d’venus, hein ? »

Jo s’arrête pétrifié au milieu d’un coup de dent qu’il donnait à son pain, car l’orpheline de Tooting lui a posé la main sur l’épaule et c’est la première fois de sa vie qu’une main décente l’a touché de cette manière.

«  J’les connais pas, répond-il ; j’sais rin d’eux.

— Moi non plus, dit Guster ; je n’connais pas les miens. » Elle s’efforce de réprimer l’émotion qui la gagne ; et tout effrayée d’un léger bruit qui se fait entendre, elle s’enfuit et disparaît en un clin d’œil.

« Jo, dit tout bas le papetier.

— Me v’là, m’sieur Snagsby.

— Je ne savais pas ce que vous étiez devenu, mon enfant ; voici une autre demi-couronne, Jo ; vous avez bien fait de ne pas parler de notre course de l’autre soir et de cette lady que nous avons vue ensemble. N’en dites rien, Jo ; il en résulterait quelque malheur.

— J’ m’esbigne alors. Bonsoir, m’sieur.

— Bonsoir, Jo. »

Un spectre en camisole et en bonnet de nuit glisse derrière le